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Home / Nouvelles / Le sauvetage héroïque des enfants juifs au couvent du Très Saint Sauveur d’Anderlecht

En mai 1943, des fillettes juives, hébergées au couvent du Très Saint Sauveur d’Anderlecht, menacées de déportation suite à une dénonciation, étaient sauvées in extremis des griffes de la Gestapo.

Voici le témoignage émouvant de Bernard Fennerberg, l’un des protagonistes  du sauvetage, à la maison communale d’Anderlecht, lors d’une cérémonie commémorative en mai 2003, 60 ans après l’action du sauvetage :

Bonjour à tous,

(…)

Cette commémoration qui nous réunit aujourd’hui, est pour moi particulièrement chargée en émotions, car elle nous rappelle 60 ans plus tard le sauvetage de petites filles juives que les nazis voulaient déporter vers les camps d’exterminations, mais aussi des événements auxquels j’ai participé et dont je fus en toute modestie l’instigateur.

Plusieurs des fillettes sauvées, aujourd’hui d’heureuses grand-mères, sont parmi nous.

Certaines habitent en Belgique, d’autres sont venues de France et même des Etats-Unis, du Venezuela et des Antilles néerlandaises. Je les salue toutes chaleureusement et je voudrais leur dire combien je suis heureux de les revoir.

Je me permets maintenant de vous évoquer les circonstances qui ont permis ce sauvetage et, pour bien cerner cet événement, de décrire aussi le contexte dans lequel nous vivions à l’époque.

Nous sommes en 1942 et j’avais 16 ans.

Après avoir échappé à la grande rafle du 3 septembre, ma mère est allée rejoindre un frère dans sa cache et ma sœur fut emmenée par une militante du «Comité de Défenses des Juifs», le C.D.J., au couvent d’Heverlee.

Mon père se trouvait en France comme travailleur obligatoire au Mur de l’Atlantique.

Il fallait donc que je me débrouille seul et je me suis rendu chez l’abbé Bruylants qui s’occupait de la paroisse Notre Dame Immaculée à Anderlecht.

J’avais appris que l’abbé, aidé par une vieille femme qui s’appelait Marieke, hébergeait des petits garçons juifs dans une maison à côté de l’église.

J’ai logé là quelque temps avant de trouver une mansarde à la chaussée de Mons, dans les environs.

Pour éviter de circuler inutilement, n’ayant pas encore de faux papiers, j’allais prendre mes repas chez l’abbé Bruylants uniquement le soir.

J’y emportais également mon repas du lendemain midi dans une gamelle que je réchauffais à l’atelier, où je travaillais comme apprenti fourreur en compagnie de mon ami Toby Cymberknopf.

Le patron nous permettait de travailler clandestinement.

Cette situation a duré 8 mois jusqu’à la deuxième quinzaine de mai 1943 où le printemps exceptionnellement chaud déterminera la suite des événements.

Cette chaleur rendait la nourriture que j’emportais pour le repas de midi immangeable car elle surissait.

C’est pourquoi le soir du 19 mai 1943, j’avertis Marieke que dès le lendemain je prendrais également les repas de midi à la paroisse.

Le lendemain, 20 mai, je me rends donc à midi chez l’Abbé Bruylants comme prévu et j’y trouve Marieke en pleurs.

Elle m’explique que les agents de la Gestapo accompagnés d’un dénonciateur bien connu, nommé le gros Jacques, ont débarqué dans le couvent du Très Saint Sauveur, situé avenue Clémenceau à Anderlecht, pour emmener les 14 fillettes juives et leur accompagnatrice, également juive, qui y étaient cachées.

Ces enfants avaient entre vingt mois et douze ans.

Marieke m’apprit aussi, qu’après maintes supplications, les soeurs religieuses avaient obtenu des gestapistes qu’ils reviennent le lendemain pour leur permettre de préparer les effets des fillettes.

Les gestapistes avaient accepté tout en menaçant d’embarquer les religieuses si les fillettes auraient disparu à leur retour.

J’écoutais Marieke sans réactions perceptibles, mais en réalité je ne tenais plus en place, j’étais révolté : ces enfants ils ne les auront pas !

Il fallait agir immédiatement et enlever les fillettes avant le retour de la Gestapo.

Je retourne rapidement sur mon lieu de travail pour raconter les faits à Toby, et nous partons sur le champ à la recherche de Paul Halter, un grand ami de Toby, dont nous savions qu’il était un commandant des Partisans Armés.

Heureusement nous trouvons Paul et il prend sans hésitations la tête des opérations.

Il nous fixe rendez-vous à la tombée de la nuit devant le couvent, avec trois autres résistants.

Nous étions bien décidés de mener cette opération jusqu’au bout.

J’étais très tourmenté et inquiet quant à la réussite de notre action… Y aurait-il un agent de la Gestapo en faction à l’intérieur du couvent ?

Nous n’en savions rien ; mais il fallait tout tenter pour sauver les fillettes et leur accompagnatrice.

Comme prévu, nous nous retrouvons devant le couvent à la nuit tombée.

Nous sonnons et une religieuse, méfiante, entrouvre lentement la porte. Paul Halter place immédiatement son pied dans l’entrebâillement, sort son revolver et oblige la sœur, prise de panique, de nous laisser entrer.

Nous demandons aux religieuses de réveiller les fillettes qui se mirent toutes à pleurer et à crier, effrayées par ce réveil brutal…

L’accompagnatrice, Gutki leur explique que nous ne sommes pas des Allemands et que nous venons pour les sauver…

Les enfants se calment et, avec l’aide des soeurs, Gutki les habille rapidement.

Ensuite, à leur demande, nous avons ligoté les soeurs religieuses pour qu’elles ne soient pas accusées de complicité dans cet enlèvement.

Mais il nous fallait également solutionner un autre problème important : où loger les filles?

Suite à ma suggestion, nous avions convenu de les cacher dans l’appartement qu’occupaient mes parents avant la grande rafle de la rue Terre-Neuve, en plein quartier juif.

C’était risqué, mais la Gestapo ne s’était jamais préoccupée de cet appartement, alors pourquoi y serait-elle venue ce soir-là ?

Paul Halter et Andrée Ermel, sa coursière, ont emmené les deux plus jeunes enfants. Toby et moi-même avons emmené les autres filles et Gutki à l’appartement par groupe de trois, éloignés les uns des autres pour ne pas attirer l’attention des quelques rares passants pressés de rentrer avant le couvre-feu.

Cette marche nous semblait interminable dans cette nuit sombre et lugubre, car nous craignions à chaque instant de croiser des patrouilles allemandes. Nous sommes tout de même arrivés à destination.

Nous avons couché les enfants tant bien que mal et nous les avons veillées toute la nuit dans l’angoisse.

Le lendemain, des résistantes du C.D.J. sont venues chercher les fillettes pour les cacher en lieu sûr.

L’opération du sauvetage avait réussi et nous étions tous très heureux.

Comme prévu, les agents de la Gestapo sont revenus le lendemain pour emmener les enfants et sont repartis bredouilles et, surtout, très enragés.

Les religieuses n’ont heureusement pas été inquiétées.

(…)

Après avoir refusé à plusieurs reprises de m’engager dans la résistance parce que j’étais trop jeune, Paul Halter accepta, suite à cette action, de m’incorporer dans les Partisans Armés. Je venais d’avoir 17 ans.

(…)

Je n’avais plus de nouvelles des filles depuis le sauvetage et je pensais souvent à elles en espérant qu’elles soient en sécurité.

(…)

Nous sommes après la guerre et pour beaucoup de jeunes de mon âge, la vie était très dure.

Mon père était malheureusement décédé à Auschwitz, mais j’ai eu la chance de retrouver ma mère et ma sœur.

Pour beaucoup d’autres, c’était bien pis. Nombreux étaient ceux qui étaient devenus orphelins de père et de mère ou avaient aussi perdu leurs frères et leurs sœurs. D’autres se retrouvaient même sans aucune famille. Ce fut le cas de mon épouse.

Plus tard, nous avons raconté à nos enfants et petits-enfants comment nous avons vécu la guerre et la tragédie de la communauté juive, et j’ai toujours voulu leurs transmettre ces valeurs qui me sont très chères, comme la résistance à l’injustice et à l’intolérance.

(…)

Je repensais souvent aux fillettes, ne sachant toujours pas si elles avaient survécu à la guerre.

Mais en 1995, quelques jours avant le congrès de «L’Enfant Caché», je reçois un appel téléphonique de Californie.

Une femme me demande si je suis bien Bernard Fennerberg et en entendant ma réponse elle éclate de joie : elle venait d’apprendre que je faisais partie du groupe qui l’avait sauvée, elle et sa soeur.

L’émotion était à son comble.  Après 52 ans sans nouvelles, nous nous sommes enfin retrouvés !

Elle viendrait au congrès avec d’autres filles sauvées et nous nous réjouissions d’avance de nous rencontrer.

La veille du congrès, nous nous sommes réunis - cinq des « fillettes », Rachel, Mimi, Simone, Yvette et  Jeannine - Paul, Toby et moi-même - et c’est alors que j’appris que toutes les filles et leur accompagnatrice Gutki avaient survécu à la guerre. Ce fut une soirée inoubliable, pleine d’émotions, de joie, de bonheur et de larmes.

Ce bonheur est malheureusement entaché aujourd’hui par 2 décès : Yvette Lerner en 2001 et mon compagnon de guerre, Toby Cymberknopf, en 2002.

Je salue sa fille qui se trouve parmi nous.

Aujourd’hui, 60 ans après les faits, je reste profondément bouleversé en pensant que le hasard avait bien fait les choses.

Si je n’avais pas changé mes habitudes, ce 20 mai 1943, en me rendant chez Marieke à la Paroisse de l’abbé Bruylants pour prendre le repas de midi, et si je n’avais pas eu la chance ensuite de contacter très rapidement Paul Halter, que seraient devenues toutes ces fillettes…?

La réponse, malheureusement, nous la connaissons tous .

Cet épisode du sauvetage des enfants juifs au couvent du Très Saint Sauveur d’Anderlecht est repris et illustré au Musée Juif de la Déportation et de la Résistance à Malines.

Cela, ainsi que la lecture du témoignage de Bernard Fennerberg m’a, tout naturellement, donné l’idée d’aller interviewer le Baron Paul Halter, le président bien connu de la Fondation Auschwitz, qui a joué le rôle essentiel dans le sauvetage des fillettes que B. Fennerberg lui reconnaît dans son témoignage.

Voici donc le résultat de cette interview :

M.L. - Baron Halter, est-ce que vous pourriez nous raconter un petit peu votre parcours dans la Résistance, dès le départ, et en particulier la fameuse action du Couvent du Tès Saint-Sauveur et ensuite votre parcours après.

P.H. - Bon, c’est très simple. D’abord, le 10 mai 1940, nous sommes réveillés à l’aube par des éclats d’obus dans le ciel. C’était la défense anti-aérienne qui essayait d’empêcher les Allemands de bombarder Bruxelles. Cela n’a pas empêché grand-chose, mais enfin, à ce moment-là, on s’y attendait un peu, mais on n’y croyait  toujours pas ; alors, on s’est précipité évidemment sur la radio. C’était le 10 mai, c’était un jour radieux, il y avait du soleil à ne savoir qu’en faire. Et on appris à la radio que l’Allemagne avait déclaré la guerre à la Belgique et que ses troupes avaient franchi les frontières et s’étaient déjà attaquées aux forts qui entouraient Liège, qu’elles avançaient très rapidement, et que la Belgique, sous l’égide de Léopold III, avait déclaré sa neutralité. La ligne Maginot n’avait pas pu être poursuivie le long de la frontière belge, ni en Belgique. C’est au fond la raison pour laquelle la Belgique a été entraînée dans le conflit malgré elle, conflit qui s’est terminé par la capitulation de Léopold III, qui a donné l’ordre à ses troupes de baisser les armes. Le gouvernement belge a marqué son désaccord et, après un passage à Vichy, s’est rendu à Bordeaux et a embarqué pour l’Angleterre. Donc, il s’est désolidarisé de l’action de Léopold III. Ils ont formé là-bas le gouvernement de Londres. Hubert Pierlot était Premier Ministre et Paul-Henri Spaak, Ministre des Affaires Etrangères.

Je parle surtout de Paul-Henri Spaak, parce que j’ai eu l’occasion d’aller rejoindre les troupes belges qui s’étaient réfugiées en France. Dans notre candeur naïve, nous nous imaginions que cela allait se passer de la même manière qu’en 14-18. Or, cela a été loin du compte, puisque cela a été très rapide, les données avaient changé : les Allemands avaient été dotés de troupes motorisées et leurs fameux Stukas avaient semé la terreur parmi les gens qui s’enfuyaient sur les routes. Moi-même, j’ai été, sur l’ordre du gouvernement, rejoindre Courtrai, puis à Courtrai, on m’a appris que c’était à Rouen qu’il fallait se rendre. Alors, j’ai été à Rouen, en passant par Abbeville, qui avait été bombardée et était en feu. Arrivé à Rouen, j’ai été logé par des boy-scouts qui m’ont accueilli chez eu, très gentiment. Et pendant deux à trois jours, je suis resté là. Ensuite, j’ai appris qu’il y avait des convois qui partaient vers le Midi de la France. J’ai alors été rejoindre un de ces convois de jeunes Belges, qui rejoignaient les centres de recrutement de l’armée belge, dans le sud de la France. Arrivé là-bas, j’ai été débarqué près d’Uzès et envoyé dans un patelin qui s’appelait Montaran. Comme il n’y avait plus d’hommes, ceux-ci ayant tous été mobilisés, on nous a mis au travail, à l’entretien des vignes, etc.

M.L. - Quel âge aviez-vous à ce moment-là ?

- J’avais dix-neuf ans. J’ai terminé mon secondaire d’ailleurs à l’époque et c’est en rentrant de cet exode que j’ai passé des examens et que je suis rentré à l’Université de Bruxelles.

M.L.  - Pour faire quelles études ?

P.H.  - Pour faire des études de philosophie et lettres, préparatoires au droit, et de sciences politiques et économiques. Il y avait tout un panel de cours en première année. J’interromps, je reviens, parce que j’avais appris que mes parents s’étaient réfugiés, eux, à Vichy où mon père s’était remis au travail, il était horloger, et avait également trouvé un logement. J’ai été le rejoindre, j’avais l’intention de rejoindre l’Angleterre, pour pouvoir continuer la lutte et c’est à Vichy que j’ai rencontré Paul-Henri Spaak que je connaissais, puisque j’étais dirigeant « faucon rouge » de l’époque et que j’assistais aux congrès du parti socialiste. J’ai discuté avec Paul-Henri Spaak de ce que serait l’avenir, de ce que je devais faire. Il m’a dit : « Mais, mon vieux, ce n’est pas compliqué, en tant que dirigeant des faucons rouges, tu devrais rentrer en Belgique et organiser la résistance. ». Cela m’est rentré dans la tête et je suis rentré. J’ai réussi mes examens terminaux du secondaire et je suis arrivé  à l’Université où j’ai passé une année plus ou moins paisible, mais en organisant quand même la résistance ; c’était une résistance plutôt civile et ce n’était pas ce que j’attendais. J’avais organisé un groupe à l’Université, qui se réunissait d’ailleurs chez mes parents, dans l’arrière-boutique. Nous étions déjà à peu près une douzaine à nous être ainsi organisés. Notre première action représentative a été , avec mon groupuscule, de me rendre, le 11 novembre au Soldat Inconnu. Cela a été notre première manifestation de résistance effective.

M.L. - On parle de l’année 1940 ?

P.H. - C’est bien cela. Ensuite, on a commencé à chauler des inscriptions antinazies sur les murs. Cela a été le premier acte effectif. Et on distribuait des tracts  à l’Université et en ville.

M.L. - Pouvez-vous dire quelques mots à propos des « Faucons Rouges » ?

P.H. - On peut dire que c’était l’équivalent des scouts, mais avec, quand même, une tendance politique bien marquée puisqu’on était socialiste. J’étais déjà dirigeant faucon rouge depuis 1936. J’y étais entré en 1934, à l’âge de quatorze ans. En ‘36, j’ai failli partir en Espagne, parce qu’il y a eu la guerre d’Espagne, mais mes parents m’ont déconseillé de le faire.

M.L. - Mais vous n’aviez que 15 à 16 ans à ce moment-là ?

P.H. - En effet, mais je tenais déjà à participer aux Brigades internationales ! Mes parents m’ont cependant convaincu qu’il fallait d’abord que je termine mes études et que je serais beaucoup plus efficace après, plutôt que de partir comme cela pour faire de la « chair à canons », que cela ne servait à rien. Alors j’ai suivi leur conseil et continué à faire de la résistance. En 1940, je suis très actif à l’Université. Mais en 1941, l’Université se saborde et décide de ne pas accepter de commissaires allemands pour la diriger. C’est d’ailleurs la seule université qui ait réagi ainsi. Alors j’ai collaboré à l’installation de cours clandestins, avec l’aide de la Ville de Bruxelles qui a été très active. On organisait des cours clandestins pour ceux qui n’ont pas pu aller à Louvain, puisque Louvain aussi avait accueilli les étudiants et à Liège ou à Gand et même à Saint-Louis. A Saint-Louis, j’ai fait l’expérience personnelle, j’ai été me présenter en disant que j’étais juif et que j’étais à l’Université de Bruxelles, mais qu’elle venait de fermer. Ils m’ont répondu qu’ils ne pouvaient pas accepter de juifs chez eux. C’est l’expérience dont je peux témoigner personnellement. Ils ne se sont pas montrés très sympathiques en la matière. De toutes façons, je me consacre davantage à la résistance qu’à autre chose.

Alors, en ‘41, les communistes sont sortis de la clandestinité, parce que depuis ‘39, ils étaient clandestins. Avec toute leur organisation, ils avaient été mis dans la clandestinité par les Alliés, notamment la Sûreté belge et ils ont réapparu, mais ayant déjà une certaine expérience de la clandestinité. En septembre 1941, ils créent le Front de l’Indépendance et les Partisans Armés. J’ai été un des premiers à rejoindre le mouvement parce que moi, j’avais d’abord participé au Groupe G qui était un groupe qui avait été formé à l’ULB et qui s’occupait uniquement de sabotages et cela ne me convenait pas. Cela ne me suffisait pas, je préférais participer à un mouvement armé. Je ne sais pas si vous connaissez la structure qui a été mise sur pied ? C’étaient des groupes de trois partisans. Tout se passait dans la clandestinité. On avait tous de faux noms et de faux papiers et l’avancement allait très vite, parce que l’on se faisait arrêter très rapidement. Après un an, j’étais devenu chef de corps de l’armée belge des Partisans Armés. Il y avait toujours un chef de partisans et deux partisans. Trois groupes de partisans formaient une compagnie.  Une compagnie, cela faisait donc neuf partisans, plus un chef de compagnie, plus un courrier qui était en rapport avec le chef de corps. Je suis devenu très rapidement chef de partisans à la base, puis je suis monté en grade très rapidement et devenu chef de compagnie, ensuite chef de corps, suite à une série d’événements qu’il serait trop long de détailler.

M.L. - Donc, en mai ‘43, il y a la fameuse action…

P.H. - Oui, en ‘43, quand il y a eu la fameuse action, j’étais chef de corps. J’ai dû improviser très rapidement, parce que, normalement, j’aurais dû demander l’autorisation à mes chefs et, finalement, au « National ». Mais si on avait attendu d’avoir la réponse du National , c’eût été trop tard…

Donc, j’ai pris l’initiative et le risque d’organiser l’action moi-même, comme le raconte d’ailleurs fort bien Bernard Fennerberg dans son témoignage. Fennerberg lui-même n’était pas partisan, ni  Toby d’ailleurs. Mais j’avais réussi à réunir trois à quatre autres amis, qui étaient, eux, de vrais partisans .

M.L. - Cette action s’est passée à l’aide de combien de personnes ?

P.H. - Il y avait Floris Desmet, qui était partisan, Andrée Ermel qui était courrière aux Partisans Armés, il y avait un nommé Taransevitch qui était également un partisan…On était sept en tout

M .L. - Et vous étiez armés à ce moment-là ?

P.H. - Les partisans étaient armés. Les quatre partisans officiels étaient armés et les autres ne l’étaient pas. C’était d’ailleurs inutile puisque, de toute façon, ils ne connaissaient pas le maniement des armes. Les autres partisans que j’avais sous mes ordres, à l’époque, je n’ai pas réussi à les joindre. Alors on a décidé de le faire comme cela.

D’ailleurs les noms figurent sur la plaque commémorative qui se trouve sur le couvent lui-même et qui a été inaugurée il y a quelques années.

A ce moment-là, le couvre-feu avait lieu à dix heures. La Mère Supérieure voulait absolument que je lui tire un coup de revolver, ne fût-ce que dans un de ses membres. Je lui ai répondu que nous n’étions pas des assassins, et que c’était totalement inutile et qu’il suffisait simplement de se laisser ligoter… On l’a ligotée avec le fil du téléphone. On peut d’ailleurs dire qu’on a commis une erreur parce que les autres, on ne les a pas ligotées du tout. Elles  étaient libres et elles nous ont aidés à aller rhabiller les fillettes. La Mère Supérieure était très hésitante parce qu’elle disait qu’elle avait en charge ses jeunes nonnettes et que si les Allemands le voudraient, ils pourraient se venger. Pour la rassurer, je lui ai dit que de toute façon, nous sommes venus pour chercher les gosses. Et qu’elle le veuille ou non, nous les prenons avec nous. Et on est sorti par la rue Sergent Debruyne parce qu’il y avait deux issues, dont l’une par l’avenue Clémenceau, par laquelle nous étions entrés. Nous sommes donc ressortis par derrière et il y avait une série de parents qui attendaient déjà devant la porte. Le bruit avait couru, les parents étaient venus et il y avait toute une série d’enfants. C’est pour cela que le nombre cité n’est pas tout à fait exact. Il y en avait plus que cela, parce que les parents les ont emmenés avec eux directement, ceux-là, on ne s’en est pas occupé.

M.L. - Finalement, il y a eu combien d’enfants sortis du couvent ?

P.H. - Dix-sept.

M.L. - Dix-sept petites filles ?

P.H. - Oui, et il y avait une jeune femme qui, au fond, s’occupait d’eux et que nous avons emmenée avec nous. Elle boitait. Par la suite, elle est entrée aussi dans la Résistance. Les gosses, nous les avons emmenés en rangs, par deux, comme si on était une école.

M.L. - Et vous avez réussi à trouver des cachettes ?

P.H. - Oui. D’abord, le gros de la troupe a été caché dans l’appartement de Fennerberg qui lui servait d’atelier à l’époque. Et on les a couchées sur des fourrures, parce qu’il était fourreur. Le lendemain, des membres du C.D.J. sont venus en chercher la plupart.  Moi-même, j’ai emmené quatre gosses avec moi, dans l’appartement clandestin que j’avais en ville et Floris Desmet et Andrée Ermel en ont emmené deux avec eux.

M.L. - Un peu plus tard, vous avez été arrêté ?

P.H. - Oui, le 16 juin 1943.

M.L. - Donc à peine un mois après.  Et dans quelles circonstances cette arrestation a-t-elle eu lieu ?

P.H. - Bêtement. Je revenais d’un rendez-vous avec mes hommes. J’étais allé distribuer des cartes de ravitaillement, de l’argent et des faux papiers  à une série de gens. J’ai essayé de m’enfuir, mais j’ai été arrêté par des policiers belges qu’ils avaient appelés à la rescousse. Je les ai évités et sauté dans un tram, mais malheureusement, au lieu d’accélérer, le tram a stoppé. C’est comme cela que j’ai été ramassé, bêtement. Alors je me suis retranché derrière ma qualité de juif pour justifier tous les papiers que j’avais sur moi. Il y avait des faux papiers, ces cartes de ravitaillement et de l’argent.

Ce qui m’avait le plus fait souffrir, à l’époque, c’était les gens chez qui je logeais, qui étaient de braves gens, qui m’ont beaucoup aidé, même dans la résistance. La femme était très croyante et elle m’avait obligé à porter sur moi une prière à Sainte Thérèse. Elle disait : « Tu vois, cela va te protéger ». Elle avait souligné toute  une série de mots qu’il fallait répéter et scander ; elle m’avait expliqué tout cela. Je n’y croyais pas très fort. Les Allemands se sont demandé ce que cela signifiait, pensant que c’était un message codé. Alors, j’ai passé trois mois à la prison de Saint Gilles où l’on me sortait chaque fois pour aller visiter des logements. Evidemment, je n’avais dénoncé personne et chaque fois, ils revenaient furieux et me battaient copieusement parce qu’on ne trouvait jamais rien ; c’était tous des logements vides que je leur signalais et les clés ne correspondaient pas. J’avais les clés de tous les dépôts d’armes de la région bruxelloise. Alors, je n’allais pas, évidemment, leur donner les adresses de ces clés. Je donnais de fausses adresses. Bon, cela a traîné pendant trois mois et ces trois mois, je les ai passés au secret, dans la prison de Saint Gilles. Après ces trois mois, on m’a libéré. On n’a rien trouvé, donc on m’a libéré. Mais derrière la porte, il y avait la Gestapo qui m’attendait, avec des SS. On m’a mis dans un camion avec dix autres personnes, direction : Avenue Louise. Là ils ont fait le plein du camion et on nous a menés tout droit à Malines, à la Caserne Dossin. A la Caserne Dossin, on m’a mis dans une cellule, en sous-sol. Le surlendemain, c’était la rafle des Juifs belges. La Reine Elisabeth étant absente, ainsi que Von Falkenhausen, les Allemands ont profité de ces absences pour liquider les Juifs belges. Le XXIIe transport, dont j’ai fait partie, était un transport qui comprenait tous les Juifs belges. Alors après quatre jours et trois nuits, ou quatre nuits, je ne sais plus, j’ai voulu m’échapper du train, mais comme je n’avais pas eu l’occasion d’établir le moindre contact avec d’autres détenus qui, eux, avaient préparé une évasion, j’ai échoué.

Paul Halter a donc connu par la suite l’enfer des camps.

Pour en savoir plus, on peut consulter le livre de Paul Halter et Merry Hermanus : « Paul Halter  Numéro 151.610  - D’un camp à l’autre », paru aux Editions Labor.

M.L.