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Home / Nouvelles / Interview, par Michel Laub, du Grand Rabbin Albert Guigui à propos de ses livres sur le judaïsme parus aux Editions Racine

- M.L. : M. le Rabbin Albert Guigui, vous êtes un homme à multiples facettes : Grand Rabbin de la Communauté Israélite de Bruxelles, Rabbin attaché au Consistoire Central Israélite de Belgique, membre de la Conférence des Rabbins Européens, et correspondant de plusieurs instituts. Vous avez également rempli, pendant de longues années, la fonction d’Inspecteur des Cours de Religion Israélite pour la partie francophone du pays, ainsi que celle d’Aumônier Militaire.

De plus, vous avez publié ces dernières années plusieurs ouvrages :

  • « Le judaïsme, vécu et mémoire »
  • « Dieu parle aux hommes »
  • « La Bible, miroir de notre temps »
  • « A la découverte du judaïsme en 101 mots »

Pouvez-vous décrire, en quelques mots et pour chacun de ces livres, le message principal que vous souhaitez faire passer à vos lecteurs ?

- A.G. : le judaïsme été la victime de préjugés pendant 2 millénaires. La religion juive, mère du catholicisme, du protestantisme, de toutes les autres religions chrétiennes et bien entendu de l’islam, devrait être pour cette raison la religion la mieux connue de toutes. Pourtant, il faut bien constater qu’il en est tout autrement.

Dans le livre « Le judaïsme, vécu et mémoire », dont est bannie toute considération politique, je présente les grands moments de la vie religieuse juive ponctuée par le Chabbat et les nombreuses fêtes, ainsi que les principales étapes de la vie des pratiquants dont la Bar Mitzvah.

L’ouvrage contient également un ensemble de réflexions sur les grands problèmes moraux de la société moderne, que je ne considère jamais comme étant tabous.Une place est également faite aux relations judéo-chrétiennes qui se sont développées depuis 50 ans.

A propos de « Dieu parle aux hommes », je voudrais rappeler ici l’injonction de la Bible hébraïque d’ « aimer son prochain comme soi-même » . Et le lointain, ne devrait-on pas l’aimer ?

D’autre part, doit-on tout pardonner au nom de cet amour ? N’y a-t-il pas l’ « impardonnable » ? Que faire face aux mouvements d’extrême droite qui prônent la haine et le racisme et menacent nos démocraties ?

Les religions sont-elles guerrières par essence ? Ne doit-on pas craindre que le « délire croyant » ne souffle sur les braises du nationalisme ?

Le « retour du religieux » observé par certains sera-t-il aussi celui du fanatisme et de la haine sans merci ? Comment informer sans dénigrer ?

Comment éviter l’indifférence devant l’actualité sans tomber dans la surenchère émotionnelle ? Comment situer les faits dans leurs nuances et leur complexité ? Après Auschwitz peut-on encore louer et glorifier Dieu ? Comment expliquer le scandale du mal ? Pourquoi la souffrance ?

Etat et religion : où situer la frontière entre la sphère publique et la sphère privée ?

Sciences et valeurs : couple ennemi ou ami ?

Pourquoi avoir un régime alimentaire particulier ? Que pense le judaïsme du végétarisme ? Les animaux ont-ils une âme ? Quelles sont les valeurs juives qui guident notre existence ?

Voilà, c’est un peu de toutes ces questions-là que traite mon livre : « Dieu parle aux hommes ».

Pour ce qui concerne « La Bible, miroir de notre temps » :

Le miroir a pour vocation de refléter une image fidèle de soi et des autres et pour fonction de projeter la réalité telle qu’elle est vécue au quotidien. A l’instar du miroir qui reflète notre existence, le texte biblique renaît sous nos yeux dans sa splendeur toujours neuve. Il transcende le temps et l’espace pour arriver jusqu’à nous. De la sorte, il nous parle, nous saisit, nous met en cause au moment où nous l’évoquons.

Savoir ce que la Bible nous dit aujourd’hui, décrypter le message biblique à la lumière des événements actuels, voilà l’objectif de ce 3e livre.

Quant au 4e, « A la découverte du judaïsme en 101 mots », il s’agit de définir les principales expressions courantes du judaïsme, comme le Zohar, le Talmud, la Kippa, le Tallith, pour n’en citer que quelques-unes, et ce, de façon simple mais non simpliste, et de faire découvrir le judaïsme à travers ces concepts.

Y sont ainsi abordés : les sources de la religion juive, les valeurs et les symboles, ainsi que les étapes de la vie juive.

- M.L. : quelles sont, à votre avis, les spécificités de vos livres par rapport à l’ensemble de la littérature juive existante en langue française ? Pouvez-vous-en  préciser l’apport particulier ?

- A.G. : Les livres que j’ai écrits sont le fruit de plus de cinquante ans d’expérience en tant qu’enseignant, éducateur et rabbin. Ils répondent aux besoins des juifs et des non-juifs désireux de rencontrer un judaïsme authentique, ouvert sur le monde.

L’objectif essentiel visé par moi en écrivant ces livres est double :

D’une part, rapprocher du public juif et non-juif du message véhiculé par le judaïsme en offrant des textes variés et touchant pratiquement tous les domaines de la vie. Chacun peut trouver dans l’un ou l’autre livre des sujets qui le préoccupent. Tous les domaines de la vie juive sont abordés et parfois sous différents angles.

Mais ce qui est pour moi le plus important, c’est essayer de montrer combien ce message véhiculé par le judaïsme est un message actuel. Mon vœu le plus cher est de faire sentir au lecteur que ce message vieux de plus de 5000 ans est un message qui transcende le temps et l’espace pour arriver jusqu’à nous.

La sortie d’Egypte, par exemple, n’est pas seulement un événement historique qui s’est déroulé au temps des Pharaons. Il est impératif d’actualiser, de vivre les enseignements préconisés par ce récit. En l’évoquant, c’est moi-même qui dois prendre conscience et faire miennes les valeurs véhiculées par le récit de la sortie d’Egypte, à savoir :

-la défense de la liberté ;

-la lutte contre toute forme d’esclavage ;

-le respect de la dignité humaine ;

-la transmission et l’éducation .

La lecture de ces ouvrages est une invitation à agir.

Enfin, il s’agit de montrer la richesse et la fécondité du judaïsme. Sa capacité à pouvoir épouser les problèmes de façon intemporelle et leur donner une solution intemporelle.

- M.L. : pensez-vous qu’en dehors des jeunes juifs qui grandissent dans des familles juives orthodoxes, la jeunesse juive d’aujourd’hui soit encore réceptive à un message religieux ?

- A.G. : Je ne pense pas qu’on doive parler exclusivement de message religieux. Il faudrait plutôt parler de message juif. Or, le message juif n’est rien d’autre que la voix de la Torah, éclairée par les interprétations rabbiniques. Notre ennemi, aujourd’hui, est l’ignorance et nous devons lutter contre cette ignorance par tous les moyens dont nous disposons.

Pour qu’un message soit réceptif, il faut qu’il réponde à un besoin, à une sollicitation. Or, aujourd’hui, les jeunes se cherchent. Les valeurs préconisées par notre société de consommation ne leur suffisent pas. Ils cultivent l’avoir et sacrifient l’être. On privilégie le clinquant et le superficiel au lieu de donner de l’importance à l’écoute intérieure et à la réflexion.

Le message biblique et, à travers lui, le message délivré par le judaïsme est un message qui transcende le temps et l’espace pour arriver jusqu’à nous. C’est un message qui parle, qui saisit l’homme au moment où il l’évoque. La voix du judaïsme est sollicitée dans tous les domaines : social, éthique, moral. Et les solutions préconisées sont souvent des solutions qui sont à l’avant-garde de nos civilisations. Un exemple parmi tant d’autres : le judaïsme n’a pas attendu les mouvements écologiques pour sensibiliser les hommes et les femmes aux problèmes liés à notre environnement. Un des premiers commandements donné par Dieu à Adam est :

«  travailler la terre et la protéger ». La protection de l’environnement revient comme un fil d’Ariane tout au long du texte biblique et talmudique. Notre tradition et notre vécu sont conditionnés par ce souci de protection de l’environnement.

Alors, si le message juif est un message d’une grande actualité, pourquoi est-il  parfois si difficile de le transmettre ? En tant que minorité, nous sommes noyés dans un monde où le vécu juif a peu de place. Ainsi, le vécu juif passe souvent inaperçu.

Mais ce qui est plus grave, c’est l’éclatement de la cellule familiale. La famille, qui est le lieu essentiel de la transmission, remplit de moins en moins son rôle. Dès lors, l’enfant perd ses repères et retrouve difficilement ses racines. Certes l’école juive compense quelque peu cette lacune. Mais en aucune façon, elle ne peut se substituer à la famille car le message livré par le judaïsme est d’abord un message qui se vit en famille.  Il faut redorer le blason de la cellule familiale.

- M.L. : Monsieur le Grand Rabbin, merci beaucoup.