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Home / Nouvelles / Interview du Professeur Jacques Brotchi - propos recueillis par Michel Laub

-M.L. : Professeur Brotchi, vous êtes une personnalité belge hors du commun.
Neurochirurgien de réputation mondiale, vous avez créé le service de neurochirurgie del’hôpital Erasme et en avez fait un service de tout premier plan, alliant lamédecine et la recherche de pointe.
Depuis2004, vous vous investissez également en politique, à la demande du MR, et vous menez le combat dans notre pays pour la défense de la santé, de la recherche et de l’enseignement, sans négliger pour autant les problèmes délicats de la bio-éthique.
D’autre part, vous faites preuve d’un courage remarquable en assumant haut et fort votre appartenance à la communauté juive et en la défendant contre l’antisémitisme. Vous avez posé des gestes forts, comme p.e. celui de démissionner avec fracas de la Fondation de l’ULB, suite aux incidents antisémites qui s’y sont produits depuis 2010 et en conséquence desquels vous attendiez les réactions qui auraient dû s’imposer tout naturellement de la partdes différents niveaux d’autorité et de responsabilités de l’ULB, mais qui nesont pas venues.
Alors que de nombreux politiciens et media de notre pays pratiquent la politique de l’autruche par rapport à ce problème, vous n’avez pas hésité à réagir sans sacrifier le moins du monde à cette nouvelle forme de lâcheté qu’est le« politiquement correct » auquel se réfèrent actuellement tant de responsables du monde politique, médiatique et universitaire, pour ne citer queceux-là.
Alors une première question :
pouvez-vous éclairer un peu nos lecteurs sur quelques avancées parmi les plus remarquablesde ces dernières années dans les domaines scientifique et médical qui sont les vôtres ?

-J.B. : Il y a plusieurs avancées. Il y a certainement l’avancée de l’imagerie médicale qui a complètement révolutionné la manière dont nous voyons aujourd’hui ce qui se passe, en particulier dans mon domaine, c’est-à-dire le cerveau, la moelle épinière, mais c’est valable aussi pour les autres organes, le cœur, le foie, les poumons, les intestins etc., je pense en particulier à la résonance magnétique d’un côté et au pet-scan d’un autre côté. Ces appareils n’existaient pas dans les années septante. Il faut se rappeler que le scanner qui paraît déjà un examen vieux, est arrivé au milieu des années septante, mais avant cela nous faisions de la médecine sans scanner. Elle était peut-être meilleure sur le plan humain parce que l’on prenait son temps pour interroger le malade et l’examiner et on en déduisait toute une série de possibilités diagnostiques. Par la suite, la résonance magnétique est arrivée dans les années quatre-vingts et a été suivie très rapidement par le pet-scan dans les années quatre-vingts également. Ces examens ont changé la donne et nous voyons non seulement ce qui se passe, mais nous voyons aussi comment l’organe fonctionne. Avec la résonance magnétique, on peut, par exemple, allumer certaines zones du cerveau en demandant au malade de bouger le pouce ou le gros orteil, parler, réfléchir, bref, ce sont des zones différentes du cerveau qui s’allument, qui nous permettent alors de mieux comprendre comment le cerveau fonctionne, ce qui nous permet aussi alors de voir ce qui ne va pas, et enfin en tant que neurochirurgien, nous permettre aussi de voir par où nous pouvons aller et par où nous ne devons pas aller quand nous décidons d’opérer et de pénétrer le cerveau. Tout cela, dans un but de meilleure qualité de vie. Dans le temps, on était heureux quand on sauvait la vie, aujourd’hui, nous sommes heureux quand nous préservons une qualité de vie, ce n’est plus la vie à tout prix, c’est la qualité de vie ! Et le pet-scan montre comment nos organes fonctionnent sur le plan biochimique et c’est un outil très appréciable, notamment pour le suivi des cancers pour la détection des métastases, ceci dans le corps entier, pas seulement pour le cerveau. Cela permet aussi, dans certaines tumeurs, qui ne sont pas nécessairement agressives, de voir s’il n’y a pas une partie de la tumeur qui est plus méchante que l’ensemble de la tumeur et c’est cette partie-là qu’il faudra impérativement enlever, détruire, mettre hors circuit pour que le malade puisse continuer à vivre en bon état. Donc, ce sont des examens fort importants. Pour moi, l’imagerie médicale a révolutionné en tout cas mon métier de neurochirurgien et nous permet aussi, en combinant l’informatique, d’opérer avec une espèce de guidage GPS comme dans la voiture, basé sur l’imagerie médicale.
A côté de cela, je vous dirais qu’une autre découverte qui, pour moi, est importante, de manière beaucoup plus générale, c’est le décryptage du génome,le fait d’avoir pu analyser, décrypter tous nos gènes et mieux comprendre alors ce qui se passe et pourquoi certains attrapent une maladie et d’autres pas.Nous sommes tous porteurs d’un potentiel de tomber malades et il faut que, dans la vie, nous rencontrions des circonstances particulières qui activent ce gène dont nous sommes porteurs. Mais, parfois, il ne faut pas un gène, il en faut deux ou trois, ce qui explique que, par exemple, tous les fumeurs ne vont pas développer un cancer du poumon, ce qui explique aussi que, malheureusement, quelqu’un peut parfois développer un cancer du poumon, même s’il n’a pas été fumeur. Ce sont donc des données tout à fait nouvelles. Cela permet aussi aujourd’hui de mieux comprendre le fonctionnement des tumeurs, je dirais, entre autres, leur réactivité aux médicaments. Pour le cancer, cela permet de choisir la bonne chimiothérapie. C’est important. Ce sont des traitements lourds, mais qui valent la peine à la condition qu’il y ait un résultat et aujourd’hui, on a les moyens d’aller dans ce sens-là. Et enfin, je dirais, grâce au décryptage du génome, on va pouvoir non seulement comprendre, mais combattre toute une série de maladies qui aujourd’hui restent un petit peu en rade, comme la maladie d’Alzheimer. Donc, ce n’est pas seulement le cancer, c’est l’ensemble de toute une série de maladies, qui nous posent problème. Donc, je dirais, en résumé, les deux grandes avancées, sont l’imagerie médicale et le décryptage du génome.

-M. L. : Quels sont les plus grands problèmes dans les domaines de la santé et de la recherche pour les solutions desquelles vous vous investissez actuellement sur le plan politique ?

J.B. : Il y a plusieurs problèmes. Il est évident que l’un des problèmes, pour avancer dans la recherche, est son financement. Il ne faut pas se masquer la vue, l’argent reste le nerf de la guerre et le financement est indispensable si on veut avancer. Et malheureusement, le financement par l’Etat reste en deçà de ce qu’il devrait être. Je rappellerais que dans le protocole de Lisbonne qui date déjà d’une dizaine d’années, il était prévu que,normalement en 2010, on devrait consacrer 3% de son produit intérieur brut à la recherche, ce qui est loin d’être le cas dans tous les pays européens, et ce, y compris la Belgique. A côté de cela, bien sûr, il faudrait dynamiser le sponsoring et peut-être faudrait-il revoir alors la manière dont les sponsors pourraient déduire de leurs revenus les dons qu’ils font pour la recherche,comme aux Etats-Unis. Ce sont des voies intéressantes, et qui ne sont certainement pas des voies utopiques, cela pourrait très bien changer dans les mois, voire les années qui viennent, avec le nouveau gouvernement que nous avons.
A côté de cela, il est évident que sur le plan de la recherche, il y a un grand défi aujourd’hui. Ce défi est basé sur le développement de cellules souches. On parle beaucoup de cellules souches. C’est quoi une cellule souche ? C’est une cellule toute jeune, qui a quelques jours d’existence, à partir d’un ovule qui a été fécondé, un embryon qui vient de commencer à exister. Il est composéde cellules qui n’ont pas encore décidé si elles vont devenir des cellules nerveuses, des cellules musculaires, cardiaques, hépatiques etc. Aujourd’hui, il y a énormément d’investissements faits dans la recherche, investissements financiers, mais aussi investissements intellectuels pour justement entrer dans une nouvelle phase de la médecine qui ne sera plus la phase d’enlever, voire de soulager un malade d’un problème qu’il a, mais de réparer les dégâts, les dégâts que la maladie a commis, que l’accident a commis ou que le chirurgien a commis. Bref, réparer les dégâts. Exemple : dans le cerveau, vous pouvez avoir une hémorragie ou une thrombose et vous êtes hémiplégique. Aujourd’hui,il y a de nouveaux circuits qui se remettent en route au fil des mois, d’où l’importance de la rééducation et de la kiné ; mais, malheureusement, les fibres qui sont sectionnées, resteront sectionnées, les neurones qui ont été détruits, resteront détruits et ce sont donc des circuits parallèles qui vont se mettre en route pour compenser, mais ce ne sera pas une vraie réparation. Aujourd’hui,on espère, avec les cellules souches, arriver à réparer. Pour cela, il faut encore de nombreux travaux chez l’animal, pour donner des ordres aux cellules souches, un petit peu comme l’on donne des ordres à des soldats, pour leur dire « vous allez faire ceci » et « vous, vous allez devenir cela », « vous allez vous habiller comme ceci » ou bien « vous mettrez votre képi comme cela ». C’est en route. Le jour où c’est contrôlé et maîtrisé, notre médecine va complètement changer. Je vous donne des exemples, qui ne sont pas des exemples en l’air, mais qui sont sur le point d’aboutir, parce qu’il y a déjà non seulement des expériences sur l’animal, mais déjà quelques essais chez l’être humain. Ainsi, après une crise cardiaque, un infarctus du myocarde comme on dit, quand une artère coronaire est bouchée, il y a une partie du cœur qui meurt, et puis, cette artère, elle donne du sang à toute une zone périphérique, le radiologue pourra mettre un stent pour essayer de déboucher ou le chirurgien cardiaque va faire un pontage pour amener le sang au delà de l’endroit bouché. Mais il n’empêche qu’il y a une partie du cœur qui n’a pas eu de sang et d’oxygène pendant un moment et qui donc est morte. Ce qui veut dire que même si l’on fait un pontage, l’organe lui-même, le muscle ne peut plus travailler à100% ; on a par exemple 25 ou 30% de ce muscle ne sont plus utilisables. Le but de ces cellules souches, c’est de refaire du muscle cardiaque, et de remplacer, de réparer la partie du muscle cardiaque qui est morte, suite à la thrombose. Il y a d’autres travaux aujourd’hui qui avancent aussi, notamment pour essayer de réparer le pancréas qui fonctionne mal. C’est un énorme défi, mais qui permettra d’envisager le traitement du diabète autrement. Aujourd’hui, en Belgique, il y a un demi-million de diabétiques et ce nombre ne fait qu’augmenter. Peut-être que le jour où ces cellules souches seront prêtes pour constituer un nouveau pancréas qui va sécréter de l’insuline comme il le devrait, nous aurons peut-être un million de diabétiques, donc cela concerne beaucoup de monde. Et dans le domaine qui est le mien, on envisage évidemment de réparer le cerveau ou la moelle épinière abîmés, abîmés par une maladie, par une hémorragie, une thrombose, ou tout simplement parce que l’on a ce que l’on appelle une maladie neuro-dégénérative, parmi lesquelles il y a le Parkinson,qui est bien connu. Et nous savons que, dans le Parkinson malheureusement, une partie du cerveau, une zone particulière que l’on appelle la substance noire, dégénère, meurt et les cellules de cette substance noire ne secrètent plus de la dopamine dont nous avons tous besoin pour ne pas trembler. Un des buts,c’est de greffer dans le cerveau des cellules souches qui vont remplacer ces cellules de la substance noire, qui vont resécréter de la dopamine et qui vont donc guérir le Parkinson à la source et non pas à l’arrivée avec les méthodes que nous avons actuellement pour empêcher le tremblement, soit par les médicaments qui compensent l’absence de dopamine, mais parfois avec des effets secondaires, soit par une opération. On met des électrodes dans le cerveau et on stimule, pour éviter le tremblement. Mais pendant ce temps-là, la maladie continue à évoluer, les cellules continuent à mourir et puis, un jour, vous n’avez plus assez de cellules au bout de l’électrode plus assez de cellules à stimuler, d’où l’intérêt de pouvoir réparer et remplacer.
Une autre maladie qui est dans notre cible, c’est la maladie de Huntington qui est une maladie familiale, qui s’accompagne de mouvements tout à fait désordonnés, progressivement d’une démence et d’un décès avant soixante ans. Il n’y a pas de médicament, il n’y a pas de traitement, il n’y a rien. On espère donc pouvoir avoir une solution avec une greffe de cellules souches dans le cerveau. J’en reviens à la maladie d’Alzheimer, parce que cela reste évidemment quelque chose qui nous concerne tous aujourd’hui. Il est possiblequ’avec ces greffes de cellules souches, des cellules souches programmées non seulement pour devenir des cellules nerveuses,mais aussi pour sécréter le médiateur chimique nécessaire, que nous puissions avec des implants dans certaines zones bien précises du cerveau, rendre la mémoire aux malades qui souffrent de la maladie d’Alzheimer et qui ne reconnaissent plus leur famille, leurs proches, leur entourage. Donc, il y a là toute une série de défis importants, des solutions et ça, c’est un des grands défis.

-M.L. : Pour ce que vous venez de décrire, le politique intervient-il ?

-J.B. : Le politique intervient
1°) sur le plan du financement de la recherche,
2°) sur le plan éthique.
Le politique n’intervient pas pour choisir le type de recherches que l’on va faire, mais le politique est obligé de baliser sur le plan éthique pour qu’il n’y ait pas de dérives, pour que, par exemple, avec des greffes de cellules souches, l’on ne commence pas à greffer des enfants qui ont un retard mental,dans le but d’améliorer leur quotient intellectuel. Sur le plan politique,c’est fort important de pouvoir combiner, je dirais, des connaissances scientifiques et des compétences politiques. Nous, sur le plan politique, entout cas au Sénat en particulier, nous intervenons dans toutes les composantes éthiques de la recherche et de la médecine, par exemple, le don d’organes. A l’heure actuelle, nous avons un grand débat et des propositions de lois sur le don d’organes. Aujourd’hui, de plus en plus, on fait appel à un don d’organes de personnes vivantes. Vous avez des gens qui sont vivants, comme vous et moi, et qui peuvent faire un don d’un rein à un membre de leur famille ou à un tiers. Nous avons deux reins, donc pourquoi pas ? On peut aujourd’hui nous prendre un morceau de foie pour sauver l’un de nos enfants, parce que l’on n’a pas besoin de notre foie au complet et, par ailleurs, chez un enfant, vous ne mettrez jamais dans son ventre, le foie d’un adulte, ce ne sera qu’un morceau, donc tout cela se gère. On ne fait pas une greffe d’organes sans balises éthiques. Pour les donneurs d’organe décédés, on a évidemment légiféré sur la définition de la mort cérébrale, des conditions de prélèvement pour ce don d’organes, mais le problème est différent chez des personnes vivantes. Notre souci actuellement au senat est de définir les conditions du prélèvement d’organes chez des êtres vivants, en particulier ceux qui n’ont peut-être plus toutes leurs capacités intellectuelles . Nous avons les incapables comme on les définit au sens large, qui sont des gens retardés mentaux, des jeunes qui n’ont pas la possibilité de donner leur avis.C’est très délicat, sur le plan éthique, de dire : « de toute façon, on va lui prendre un rein, ce n’est pas bien grave ». Ce serait tout simplement impensable ! Un jour, on pourrait peut-être avoir un raisonnement semblable pour des personnes âgées, puisque, aujourd’hui, l’âge,auquel on peut prélever un organe et le greffer, cet âge ne fait que reculer et augmenter. Moi, j’y vois un danger important. Evidemment, on vit de plus en plus vieux, en bonne santé, donc, nous sommes tous des donneurs potentiels mais si un jour, nous perdons nos facultés et que nous ne pouvons plus dire oui ou non, qu’on est d’accord ou pasd’accord, on va venir nous prélever dans les maisons de repos, dans les asiles où nous serons !! Donc, ça, c’est le rôle du politique. En tout cas, au Sénat, l’essentiel, c’est de baliser sur le plan éthique pour que tout ça ne se produise jamais.

-M.L. : Professeur Brotchi, pour passer à tout autre chose : quel est l’état actuel des relations entre la Belgique et Israël au niveau universitaire ?
Et - question liée - quel est, à ce propos, l’effet de la propagande anti-israélienne, fort présente en Belgique ?

-J.B. : Malheureusement, il n’y a pas d’accord politique officiel de coopération entre Israël et la Belgique. Il y a eu un accord, il y a une dizaine d’années, entre la Région Bruxelloise et l’Etat d’Israël. Cet accord a été dénoncé, suite à une majorité alternative, c’est-à-dire un changement dans les accords de la majorité et de l’opposition. Depuis, malgré tous les efforts déployés par moi-même, mais aussi par Viviane Teitelbaum, au Parlement bruxellois, nous ne sommes pas arrivés à revenir là-dessus. Et nous y arriverons d’autant moins que le Parlement bruxellois, à chaque élection, change et de par la démographie bruxelloise, comporte de plus en plus de parlementaires d’origine musulmane qui ne portent peut-être pas Israël dans leur cœur. Donc, c’est difficile mais cela n’empêche pas des collaborations personnelles et il y en a entre des services,entre des hôpitaux belges et des hôpitaux israéliens, entre des centres de recherche belges et des centres de recherche israéliens. Rien ne nous interdit de le faire; enBelgique, nous sommes libres et ce sont des décisions personnelles, suite à des rencontres entre scientifiques israéliens et belges. Mais il n’y a pas de financement de l’Etat, ou de la Région. Donc, ces accords se font , mais dans tout accord de recherches, il y a le nerf de la guerre : il faut trouver de l’argent, donc, des sponsors et là est le problème. J’ai personnellement contribué,il y a une dizaine d’années, peut-être un peu moins, à un accord entre l’ULB et l’Université Hébraïque de Jérusalem, en matière de recherches dans les neurosciences. Cet accord a été signé par le président de l’Université Hébraïque de Jérusalem et par le recteur de l’ULB, qui, à l’époque, était le professeur Pierre de Maret. Les Amis Belges de l’Université Hébraïque de Jérusalem ont parrainé le tout. A l’époque, le président en était le sénateur Philippe Monfils et il a apposé sa signature sur ce document .Donc, cet accord existe, mais, faute de moyens, il n’a jamais été traduit dans des faits, excepté par des collaborations ponctuelles.
En ce qui me concerne, j’ai collaboré avec l’Institut Weizmann en particulier sur un projet de greffe de cellules dans la moelle épinière, pour essayer de rendre la motricité à des paraplégiques. Je l’ai donc fait à l’Hôpital Erasme, avec des équipes de recherches de l’Institut Weizmann et des neurochirurgiens de l’hôpital Tel Hashomer de TelAviv, sans aucune entrave, sans aucun problème ; mais le financement, j’ai dû le trouver, mais certainement pas au niveau de la politique scientifique officielle; mais j’ai trouvé ce financement. Donc, il est évident que rien n’empêche qu’il y ait des relations entre la Belgique et Israël au niveau universitaire, mais ces recherches ne sont pas financées officiellement par les pouvoirs politiques. La propagande anti-israélienne joue, mais je pense qu’elle ne joue pas au niveau des collaborations de recherches. Mais il ne faut pas se voiler la face, toutes les propagandes type «boycott d’Israël », ont un retentissement au niveau de la population, et parfois au niveau des chercheurs et peuvent amener à des hésitations à se lancer dans une collaboration. Mais je ne connais pas d’exemple précis où cette propagande anti-israélienne a empêché un projet de recherche interuniversitaire de se créer. Cependant, je pense que nous devons en être conscients et il est possible que cela joue au niveau de personnes plus jeunes, peut-être qui connaissent moins les rouages ou les intérêts et qui peut-être seraient sensibles à ce genre de messages. En tout cas, moi, je n’ai pas connaissance que cela ait abouti sur le plan de la recherche.

-M.L. : Que peut-on (ou doit-on) faire, à votre avis, pour contrer l’antisémitisme qui touche actuellement les enfants juifs dans les écoles ?
De même : que peut-on (ou doit-on) faire, à votre avis, pour contrer l’antisémitisme qui sévit actuellement chez tant de jeunes musulmans de notre pays (plus de 50 % d’après les résultats récents d’un chercheur universitaire néerlandophone) ?

-J.B. : Je pense qu’il faudrait introduire des cours de philosophie obligatoires pour tous les enfants, des cours de philosophie qui comprendraient un volet que l’on appellerait l’histoire des religions. Il y a beaucoup,beaucoup de réactions de rejets, que ce soit l’antisémitisme ou un rejet d’autres cultures, basées bien sûr sur une propagande, mais aussi sur une méconnaissance.
Je pense qu’un enseignement qui explique les valeurs, le mode de pensée de telle ou telle religion, avec bien sûr une analyse philosophique à la clé, et non pas un cours donné dans un but de prosélytisme et de conversion et d’adhésion, je pense que cela pourrait être une formule qui permettrait aux enfants de comprendre que quelqu’un d’autre puisse penser autrement, mais que c’est tout à fait louable et logique, voire même intéressant, parfois, de lui poser des questions complémentaires, comme : « dis-moi, le professeur n’a-t-il pas dit ceci ou cela ? Pourrais-tu m’expliquer un peu plus ? ». Se comprendre et se respecter, je crois que c’est à l’école qu’il faut l’apprendre et pas plus tard. Plus tard, c’est trop tard. Que peut-on, que doit-on faire pour contrer l’antisémitisme qui sévit actuellement chez les jeunes musulmans de notre pays, plus de 50% d’après les évaluations ? C’est un énorme problème. C’est un énorme problème parce qu’il y a une intoxication volontaire qui est faite par les imams dans les mosquées. On a toujours dit qu’en Belgique, il y avait séparation entre la religion et le pouvoir politique ; mais je pense qu’à l’heure actuelle, ce qui se passe dans les mosquées ne respecte pas cette séparation et il y a là une intoxication mensongère, avec une propagande qui pousse à la haine et qui pousse aussi à l’antisémitisme. Et malheureusement, la population musulmane ne fera que croître dans les années qui viennent. Ce n’est pas pour cela que tous les musulmans sont antisémites ou sont même anti-israéliens. Personnellement, j’ai l’occasion de parler, de former des élèves neurochirurgiens musulmans. Je ne veux pas être naïf dans mes pensées, mais il n’empêche qu’il y a quand même une ouverture d’esprit qui existe dans la population musulmane. Malheureusement, ce n’est pas la majorité, malheureusement, ils sont intoxiqués par ces mollahs, par ces imams, qui viennent prêcher la violence, qui viennent prêcher la désobéissance. Vous avez remarqué que nous avons un problème de respect de nos lois, de respect de la loi belge. Nous n’aurions pas de problème avec tous les émigrés s’ils se sentaient belges et qu’ils s’intégraient, comme l’ont fait les émigrés juifs, comme l’ont fait les émigrés italiens, comme l’ont fait tous les émigrés. Ici, nous avons affaire à une situation différente et compte tenu du fait que la population musulmane va augmenter lentement, mais progressivementau fil des années, je suis inquiet si on n’arrive pas à contrer cette influence qui passe à travers les mosquées. Je vois que suite à cela, il y a des comportements qui déteignent dans le monde universitaire, qui déteignent à l’ULB. L’université est, par définition, le lieu universaliste où les jeunes viennent de milieux différents, de cultures différentes. C’est vraiment ce qu’on appelle la multiculturalité qui leur apprendra à se connaître, à se respecter et à vivre ensemble. Et aujourd’hui, je ne sens pas, malheureusement, du côté de la communauté musulmane, ce désir de vivre ensemble et cela m’inquiète. Mais peut-être allons-nous avoir la chance, dans les années qui viennent, d’avoir des leaders, des penseurs musulmans, qui vont influencer correctement leur jeunesse. C’est ce que je peux souhaiter; mais, à l’heure actuelle, nous avons un problème qui est dû, je le répète, à cette intoxication à partir des discours qui sont délivrés dans les mosquées.

-M.L. : Suite à la remise du Prix Scopus qui vous a été décerné en novembre2009, vous avez affirmé que « la science est incontestablement l’un des vecteurs de la paix »
Pouvez-vous développer cette affirmation pour nos lecteurs ?

-J.B. : cette question concerne une affirmation que j’avais émise, en novembre 2009, quand j’ai reçu le Prix Scopus où j’avais dit « La science est incontestablement l’un des vecteurs de paix ». Prenons un exemple, il y a des accords de coopération entre des équipes de chercheurs de l’Université Hébraïque de Jérusalem et de l’Université Palestinienne al-Qods . Il y a eu des accords qui ont été signés par les recteurs des deux universités dont un, il ya quatre ou cinq ans, a été signé à Londres entre le recteur de l’UniversitéHébraïque de Jérusalem et le recteur de l’Université al-Qods. La recherche, la santé d’ailleurs, sont des vecteurs de paix. A l’heure actuelle, du côté israélien, il se passe énormément de choses positives qui pourraient contribuer à la paix si c’était un peu plus médiatisé. Par exemple, il y a à l’Université Hébraïque de Jérusalem un service de chirurgie cardiaque pédiatrique où les enfants palestiniens, sont les bienvenus, et sont opérés gratuitement. Il y a beaucoup de malformations cardiaques chez les nouveaux-nés palestiniens.Il faut évidemment trouver de l’argent. Il y a une association qui s’appelle« Un cœur pour la Paix » qui a son siège en France et qui récolte de l’argent et travaille en accord avec Jérusalem. Mais l’Université Hébraïque participe aussi à la couverture des frais, donc c’est vraiment un JointVenture à eux deux et il y a, tous les mois, des enfants palestiniens qui sont opérés à l’hôpital Hadassah. Parmi les enfants palestiniens opérés, la moitié viennent de Gaza, il n’y a donc aucun problème pour passer et venir de Gaza avec une antenne médicalisée parce qu’il faut opérer en urgence. Ce sont des choses qui se passent mais dont on parle peu ou pas. D’autre part, les parents palestiniens dont on a sauvé l’enfant, voient quand même Israël autrement.
Je crois que la recherche, la santé peuvent contribuer à un monde meilleur et peuvent aider à ce que les gens se connaissent mieux. Ce que je voulais dire, quand j’ai reçu le Prix Scopus. C’est également mon expérience personnelle. Pendant quatre années, j’ai présidé toute la neurochirurgie mondiale, ce qui m’a amené à voyager dans beaucoup de pays, y compris les pays arabes J’ai toujours dit que j’étais juif et que j’avais de la famille à Tel-Aviv pour schématiser, avant d’obtenir mon visa pour aller en Arabe Saoudite ou au Pakistan par exemple, ou même en Iran. Je ne voulais pas qu’on le découvre quand j’étais sur place. Je n’ai jamais eu aucun problème pour aller dans tous ces pays. Je suis allé enIran avant d’être président mondial, mais durant ma présidence, malheureusement, le président iranien était déjà celui qui est en place aujourd’hui, M. Ahmadinejad, et qui est un fou qui veut la destruction d’Israël et je n’ai jamais voulu prendre le risque de devoir le rencontrer. Donc, malheureusement pour mes collègues neurochirurgiens iraniens, j’ai refusé d’aller en Iran pendant ma présidence et j’ai dit pourquoi : je ne voulais pas cautionner quelqu’un d’infréquentable en allant dans un pays avec une casquette officielle comme celle que j’avais à ce moment-là. On pouvait imaginer, par exemple, qu’on aurait pu venir me chercher avec une belle limousine à l’hôtel et m’amener alors à rencontrer le président, chef de l’Etat. Et au moment où je l’aurais rencontré, la télévision pouvait être là pour faire des prises de vue quand il m’aurait donné la main… Rien qu’à penser à cela, j’ai dit :« je n’y vais pas ». Ce qui ne m’a pas empêché de travailler en faveur de la paix, entre neurochirurgiens iraniens et neurochirurgiens israéliens. Et pas plus tard qu’en septembre dernier, nous avons eu notre congrès mondial de neurochirurgie à Recife, au Brésil. Une session était organisée avec comme thème : les leçons qu’on a pu tirer des blessures de guerre. Et parmi le panel des orateurs, il y avait un neurochirurgien israélien, mais aussi un neurochirurgien iranien. Ils ont accepté tous les deux d’être dans le panel et moi, je le présidais. J’ai d’abord passé la parole à l’un, puis j’ai passé la parole à l’autre, puis j’ai posé des questions à l’un, puis j’ai posé des questions à l’autre. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Au début, l’Iranien, auquel j’ai donné la parole le premier, pour qu’on ne me suspecte pas de favoritisme, m’a répondu et quand il a eu fini de répondre, il a déposé le micro sur la table et il est allé se rasseoir. J’ai demandé à  l’Israélien ce qu’il en pensait. Il s’est levé, il a pris le micro, il a parlé et puis, il l’a déposé à l’endroit où il l’avait pris. Moi, j’ai posé une deuxième question, puis une troisième. A la troisième question, l’Iranien répond comme aux précédentes questions mais quand il a fini, je ne le laisse pas déposer le micro sur la table, je lui dis « Voulez-vous bien donner le micro à votre collègue israélien ? » et il le lui a donné. Et à ce moment-là, toute la salle a applaudi. Et pour terminer, j’ai une photo avec les deux. Et ils sont partis en parlant ensemble et je les ai laissés discuter ensemble. Ce n’est pas pour cela que l’Iran ne va pas attaquer Israël, ou Israël ne va pas attaquer l’Iran, mais je crois que les relations personnelles peuvent contribuer à la paix. Le fait de se parler, le fait d’avoir des relations entre scientifiques est fort important et cela existe et je puis vous dire que j’ai eu l’occasion dans ma vie professionnelle de neurochirurgien, de mettre en contact, non pas en cachette mais officiellement, des neurochirurgiens israéliens avec leurs homologues de toute une série de pays arabes. Un de mes souvenirs importants, je me souviens, se situe au début de mon mandat de président de la neurochirurgie mondiale, quand j’essayais que les Saoudiens et les Israéliens ne se tournent pas le dos et acceptent de parler à la même séance. A la fin de mon mandat, ils s’asseyaient ensemble aux congrès avec leur plateau-repas pour le lunch entre les sessions scientifiques. Avant, ils ne se seraient jamais assis, ils auraient été s’asseoir ailleurs et maintenant les neurochirurgiens israéliens et les neurochirurgiens d’Arabie Saoudite s’assoient, se parlent, avant cela n’existait qu’avec lesEgyptiens et les Jordaniens. Je suis arrivé à l’élargir dans mon petit monde de la neurochirurgie, mais je crois qu’il faut investir dans ce sens-là. Je pense que cela peut permettre une meilleure compréhension mutuelle. Mais il faut rester modeste : ce n’est pas pour cela que, tout d’un coup, il va y avoir signature de traités de paix. Cependant, pour le futur, c’est important. C’est important que les gens puissent dire : « je connais quelqu’un » , à la limite : « c’est devenu un ami », et voir les élèves de l’un respectant les élèves de l’autre. Et c’est comme cela que finalement, on peut l’espérer, cela pourrait faire un petit peu tache d’huile, à partir d’un cas particulier.

Donc,pour moi, je reste convaincu que la science est un vecteur de paix !

-M.L. : Professeur Brotchi, je vous remercie infiniment, vos propos sont absolument passionnants. Et j’espère un jour revenir avec d’autres questions et constater que les choses ont progressé.

-J.B. : Avec plaisir.