JewishCom.be

Home / Nouvelles / Interview de Viviane Teitelbaum, par Michel Laub

- M.L. : Viviane Teitelbaum, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

- V.T. : Je suis née à Anvers dans une famille juive traditionaliste. J’ai fait mes études primaires en français, dans les dernières classes francophones ; puis, mes études secondaires  au Koninklijk Lyceum Antwerpen, en néerlandais. J’étais également dans un mouvement de jeunesse. Ensuite, à 18 ans, je suis partie faire une licence en journalisme à l’U.L.B. Subsidiairement, je suis devenue présidente de l’U.E.J.B. En 1976, comme étudiante, je suis partie en mission « clandestine » voir des refuzniks. J’ai aussi participé à la Deuxième Conférence pour les juifs d’URSS, organisée en 1976 à Bruxelles. En 1977, à la fin de mes études, après avoir obtenu ma licence, je suis partie faire un Masters en relations internationales avec un major en économie politique dans une université californienne et suis revenue en 1980. Puis, j’ai commencé à travailler comme rédacteur en chef adjoint, puis rédacteur en chef, de Regards, jusqu’en 1992 si mes souvenirs sont bons, tout en ayant pris une petite pause carrière, comme le font beaucoup de femmes, pour mettre au monde mes deux enfants. Ensuite, après la période Regards, j’ai travaillé un peu comme pigiste trilingue et, en parallèle, j’ai publié mon premier livre en 1994, sur les enfants cachés, qui s’appelait « Enfants Cachés, les larmes sous le masque », publié aux éditions Labor. Ensuite, j’ai travaillé à la WJRO - section belge, l’organisme pour la restitution des biens spoliés par les nazis. Puis je suis devenue la coordinatrice pour la Fondation Spielberg en Belgique. Et, en parallèle, j’étais présidente de l’Ecole Beth Aviv, de 1993 à 1996, pendant que mes enfants y étudiaient. J’ai également publié d’autres livres : un ouvrage sur les enfants abusés sexuellement, toujours pour les éditions Labor, intitulé « L’Enfance brisée » et, en 1997, un livre sur la restitution de biens volés à la communauté juive de Belgique pendant l’occupation « Comptes d’une mort annoncée ». Ensuite, en 1998, j’ai publié «Citoyennes », à l’occasion des 50 ans du droit de vote des femmes et des 75 ans du mouvement des Femmes Prévoyantes Socialistes, aux éditions Labor. Et quelques mois plus tard j’ai participé à un ouvrage collectif «  Shoah le témoignage impossible » réalisé par « La pensée et les hommes », aux éditions de l’ULB. Fin 1998, j’ai arrêté de travailler à la WJRO et je suis devenue présidente du Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique, le C.C.O.J.B., de 1998 à 2001. C’est à cette époque, si je ne m’abuse, que j’ai publié le livre : « Diamantaires, l’univers et les coulisses d’une passion ». Et c’est après cela, que je suis entrée en politique. Je me suis présentée aux élections en 2003 ; c’est Daniel Ducarme qui était venu me chercher. Je n’ai pas été élue, mais j’avais quand même réalisé un score honorable. Puis, en 2004, je me suis présentée sur les listes régionales. J’étais à la dixième place et j’ai été élue. Je suis donc députée bruxelloise depuis 2004. J’ai été réélue en 2009. En 2006, j’ai écrit un livre sur la commune d’Ixelles qui s’appelle : « Ixelles se raconte », publié aux éditions Luc Pire. A peu près en même temps, mon livre « Les larmes sous le masque » a été réédité. En 2006, j’ai été élue conseillère communale à Ixelles, et je suis devenue chef de groupe. En 2007, j’ai déjà refait une campagne électorale, parce qu’en Belgique, on vote très souvent. En 2007 donc, me voilà sur la liste fédérale. Fin 2008, nouvelle publication : « Salomon, vous êtres juif - l’antisémitisme en Belgique du Moyen Age à Internet ». Et en 2009, rebelote : je me présente à nouveau sur la liste régionale où j’ai été réélue députée régionale bruxelloise, ce que je suis toujours depuis. Enfin en 2010, en même temps qu’une nouvelle campagne fédérale où j’ai quasi doublé mon score de 2003, j’ai sorti un nouveau livre intitulé : « Quand l’Europe se voile » et là, c’était aux éditions La Muette - Le Bord de l’Eau. En février 2010, j’ai été élue présidente du Conseil des Femmes Francophones de Belgique.

- M.L. : Quels sont actuellement les différents domaines pour lesquels vous êtes politiquement le plus engagée ?

- V.T. : Je dirais que de manière globale, depuis que je suis à l’université, j’ai toujours été engagée dans la défense des valeurs démocratiques : la lutte contre les discriminations, contre le racisme et l’antisémitisme et pour l’égalité hommes - femmes. Ce dernier aspect s’est très certainement développé plus récemment, mais fait partie du même combat pour les valeurs démocratiques. Comme le combat contre l’extrême-droite et, plus généralement, contre tous les extrémismes quels qu’ils soient. A part cela, il est évident que je suis très engagée dans les commissions où je travaille, qui sont les commissions de l’aménagement du territoire, tout ce qui touche à l’urbanisme, mais aussi au patrimoine classé. Comme je partage ma vie depuis 35 ans avec un architecte, j’ai été fort sensibilisée à tout ce qui se rapporte au patrimoine, à l’urbanisme et à l’architecture. Quelque part, cela rejoint l’histoire, le passé mais aussi l’avenir des choses.  Et s’appuyer, dans son combat pour demain, sur ce qui s’est passé hier, que ce soit par rapport à une belle architecture ou que ce soit à travers des leçons d’histoire politique, c’est un petit peu la même démarche.

Je suis aussi très active dans tout ce qui concerne les transports en commun. Le manque de mobilité performante dans Bruxelles reste, encore actuellement, l’une des grandes faiblesses de la capitale.

Et puis il y a aussi la lutte contre tous les négationnismes en général.

- M.L. : Alors, justement, quand vous défendez la communauté juive en particulier ou l’Etat d’Israël, est-ce que vous avez l’occasion de constater que vous avez un soutien de la part des mandataires de votre propre parti ou éventuellement de mandataires politiques d’autres partis ?

Et de quel milieu les critiques les plus virulentes émanent-elles ?

- V.T. : Si vous le permettez, je voudrais commencer en précisant ce que je crois être très important : je ne défends pas UNE communauté. Il y a des gens à l’extérieur qui essaient de me « communautariser ». Et là, je rétorque en affirmant d’une manière très ferme que je défends des valeurs. Dans le cadre de la défense de ces valeurs, j’ai été amenée, il est vrai, à être sans doute celle qui le plus souvent - au niveau régional - interpelle par rapport à la lutte contre l’antisémitisme. Il y a beaucoup de politiciens qui interpellent sur la lutte contre les discriminations, contre le racisme en général et contre les racismes anti-noir et anti-arabe en particulier. Par contre, et là je rejoins votre question, la sensibilité par rapport à l’antisémitisme est, je pense, nettement moins présente, en dehors du MR. Et, il faut bien le constater, je suis très souvent le fer de lance de ce combat, même en interne.

Il me semble vraiment très important d’insister sur la notion de « défense des valeurs », parce que cela ne concerne pas seulement la communauté juive ; quand on parle de lutte contre le racisme, ou l’antisémitisme en particulier, cela concerne ou devrait concerner tous les Bruxellois, voire tous les Belges !

Alors, au sein de mon parti, j’ai effectivement pas mal de soutien parce que c’est un parti où on est sensibilisé à cela et où on comprend que la lutte contre l’antisémitisme est aussi un combat pour la démocratie. Donc, je suis non seulement soutenue, mais relayée. D’autre part, bien que je ne siège pas au fédéral, il y a là des personnes de mon  parti, comme Corinne De Permentier ou Daniel Bacquelaine  à la Chambre ou encore Armand De Decker au Sénat, qui sont des personnes qui effectivement mènent ce combat. Je ne peux évidemment pas citer tous ceux qui luttent contre l’antisémitisme ou la diabolisation d’Israël. Par ailleurs, je défends avec acharnement le droit d’existence de l’Etat d’Israël, parce que je pense que c’est important. Et je m’oppose aux sanctions, comme la suspension d’accords de coopération, parce que, je ne crois pas au boycott, je ne crois à aucun boycott d’ailleurs, nulle part. Je pense que cela pénalise les populations et que cela fait reculer le progrès (dans le sens noble du terme), tant intellectuel que scientifique, économique, etc… Donc, voilà, là aussi, je pense que je suis dans un parti qui défend des valeurs et qui donc défend l’existence de l’Etat d’Israël. Evidemment, cela ne veut pas dire que tout le monde dans mon parti défend toujours les positions prises par tout gouvernement israélien ; je pense qu’il faut nuancer. En tout cas au MR, de nombreux élus répondent présents pour défendre ces valeurs.

Je dois dire que parmi les plus ardents opposants, ce que j’ai ressenti, c’est qu’ils émanent de la gauche. Vous allez me dire qu’en dehors du MR, tous les partis de la majorité font partie de la gauche. C’est effectivement le PS, le CdH et Ecolo qui, au niveau bruxellois, ont décidé de suspendre les accords de coopération entre l’Etat d’Israël et la Région bruxelloise. Si je dois mettre une hiérarchie dans l’opposition à l’Etat d’Israël, je pense qu’Ecolo vient en tête, suivi par le CdH. Quant au PS, il y a différentes tendances. Celles qui sont exprimées au Parlement bruxellois à travers toute une série de résolutions, émanent en tout cas de la tendance hostile à l’Etat d’Israël. Mais je dirais que dans d’autres hémicycles, dans d’autres assemblées parlementaires, ce n’est peut-être pas toujours le cas.

Que l’on attaque la politique d’un gouvernement - qu’il soit israélien ou d’ailleurs -  ne me dérange pas.  Ce qui me gêne par contre, c’est cette tendance à prendre systématiquement parti de manière unilatérale, entre deux détresses, avec un vocabulaire qui est toujours le même et qui ne fait jamais de place à la nuance, ni à un minimum d’empathie par rapport à une situation où, forcément, il y a toujours deux côtés qui souffrent.

Et même si ce n’est pas en même temps que les deux côtés souffrent autant, on ne peut pas mettre de hiérarchie dans la souffrance par rapport à des discriminations ; le faire est un très mauvais signal.

- M.L. :  Alors une question qui en est un peu la conséquence : est ce que vous pensez que la communauté juive a encore de beaux jours devant elle, dans notre pays ? Ou faites-vous plutôt partie des pessimistes à cet égard ? Finalement, n’y a-t-il qu’un seul parti qui défend un point de vue équilibré ? Si c’est le cas, on peut quand même avoir de sérieuses inquiétudes …

- V.T. : D’une part, je ne peux pas être entièrement pessimiste parce que sinon mon combat politique n’aurait pas de sens. D’autre part, je ne peux pas dire qu’aujourd’hui je sois entièrement optimiste non plus parce que la situation est grave et je vais m’expliquer. Je pense que la Belgique n’est pas un pays antisémite et n’a pas une politique antisémite ; il ne faut donc pas exagérer les choses. Par contre, je pense qu’il y a, malheureusement, un antisionisme et parfois un anti-israélisme exacerbés. Et certainement, une politique anti-israélienne et même un antisionisme, exprimé avec une diabolisation d’Israël permanente. Et c’est grave, parce que cela a des conséquences directes en termes d’antisémitisme. On le voit, et particulièrement depuis l’an 2000, depuis le tournant du siècle, l’expression de l’antisémitisme en Belgique est en lien direct avec les événements au Proche-Orient. En fait, je dirais que je suis surtout en colère.

En colère contre mes collègues parlementaires et en colère contre les médias. Je commencerais avec les médias. En Belgique, on n’a pas de presse d’opposition, on a une presse, qu’elle soit visuelle ou écrite, qui est une presse engagée de gauche. Dans d’autres  pays démocratiques d’Europe, vous avez une presse de gauche et une presse de droite. En France, vous avez Libé et vous avez le Figaro. En Angleterre, en Italie, en Espagne ou en Allemagne, c’est la même chose. Même en Flandre ! En fait, c’est vraiment une spécificité belge francophone : tous les journaux parlés ou écrits ont la même orientation. Donc, à un moment donné, quand, idéologiquement, il y a un tel parti pris, c’est un problème. Et par rapport au conflit du Proche-Orient, malheureusement, il y a un parti pris… Cela devient dramatique, parce que finalement tous les soirs, les images et le discours que captent les belges dans leurs foyers soutiennent de manière unilatérale une cause par rapport à une autre. On peut être pro-palestinien et je pense que c’est important qu’il y ait un Etat palestinien aux côtés - je dis bien aux côtés et non pas à la place - de l’Etat d’Israël et que les deux puissent vivre dans des frontières sûres et reconnues. Je constate cependant que le discours des médias n’est jamais celui-là, c’est toujours celui du « grand méchant » contre « le petit malheureux », sans la moindre nuance, sans aucune mise en perspective. C’est toujours le djinn et celui qui jette des cailloux contre le char ; jamais de questionnement par rapport à la démocratie qui se trouve derrière le char. On se retrouve vraiment dans une situation où les gens sont instrumentalisés. En plus de cela, on a des émissions provenant de satellites, qui rentrent aussi dans les foyers, en particulier dans les foyers d’origine arabo-musulmane, où le discours est, souvent, carrément un discours de haine par rapport à Israël et par rapport aux Juifs. A ce moment-là, évidemment, les choses se superposent et, à un moment donné, je pense qu’il y a certaines personnes, des jeunes mais également des moins jeunes, qui ne font plus la part des choses … Certains imams aussi instrumentalisent tout cela et prêchent la haine à qui veut bien les écouter. Et à un moment donné, tout se mélange… Si vous y ajoutez le discours politique ou médiatique peu nuancé sur le conflit du Proche-Orient et leur réactivité excessivement molle par rapport aux actes d’agression commis à l’encontre de la communauté juive, vous comprenez peut-être un peu mieux l’hostilité qui s’installe à l’égard de celle-ci. Mais j’aimerais dès lors entendre l’ensemble de nos politiciens et de nos médias quand des actes antisémites sont commis à l’encontre de la communauté juive, comme par exemple, tout récemment encore, à l’encontre de gamines juives dans certaines écoles. Or là, malheureusement, on n’entend quasi   rien.

Parallèlement à cela, un autre problème, c’est l’éducation. Dans certaines écoles, on n’enseigne plus la Shoah parce que s’il le fait, le professeur est mis en difficulté et qu’il n’a pas toujours envie de se battre pour cela. Et le comble, c’est que ces jeunes, qui sont  influencés par les discours haineux dont nous parlions il y a quelques instants, ne connaissent généralement rien de l’histoire de la Belgique, et particulièrement, de la période qui couvre la Seconde Guerre mondiale. Ils ne connaissent rien de l’histoire du Moyen-Orient non plus d’ailleurs. Il ne faut donc pas s’étonner d’en arriver à devoir réentendre le genre d’insultes un peu oubliées depuis 1945  comme : « Sale Juif, retourne dans ton pays », alors que le Juif auquel on s’adresse est né ici…

Je suis donc en colère parce que je pense que la responsabilité des médias et des politiques à ce propos est très lourde.

- M.L. : Mais ne craignez-vous pas d’être un peu « une voix dans le désert » ? Est-ce que vous voyez une solution ? Pourrait-on par exemple imaginer que les imams fassent l’objet d’un certain contrôle afin de se prémunir, le cas échéant, contre toute forme d’incitation à la haine ? Ou est-ce totalement impensable ?

- V.T. : J’ai pointé les manquements. Ceci dit, je pense effectivement que les politiques devraient insister pour que la formation des imams se fasse dans le cadre belge, par la Communauté Française par exemple. Ensuite je pense que, par exemple, un bourgmestre, comme celui de la Ville de Bruxelles, ne devrait pas autoriser systématiquement des manifestations qui reviennent à de l’incitation à la haine. Que ce soit en rue, à travers de « check-points », ou que ce soit à travers des mascarades, mais qui prennent à partie la population, toujours hors contexte, en mettant en scène des choses sans jamais les contextualiser, sans aucune nuance, avec une agressivité évidente, où on reporte la haine d’Israël sur le Juif et où on fait finalement des amalgames de tout. Là, effectivement, on devrait commencer par dire : «  Stop, ça suffit ! ». Malheureusement, je viens d’apprendre que de nouvelles manifestations vont être autorisées… Les politiques ont donc beaucoup à se reprocher. Je pense aussi à quelque chose de gênant : quand l’antisémitisme est chrétien, on peut le nommer, quand l’antisémitisme vient de l’extrême-droite, on le condamne avec force ! Mais quand l’antisémitisme vient de la communauté arabo-musulmane, la réaction est toujours plus feutrée. Je pense que cela vient du fait que cette communauté est elle-même discriminée : à l’emploi, au logement, etc…, ce qui est une réalité que je regrette et condamne, mais qui fait que certains politiques ont peur d’émettre des critiques.

- M.L. : Vos propos me semblent refléter avec réalisme la réalité actuelle, avec toutes ses perspectives inquiétantes. Mais ma question reste toujours : à votre avis, que peut-on faire pour y remédier ? Quelles sont les actions qui pourraient être entreprises maintenant et de manière concrète, auprès des médias, du monde politique, du monde universitaire ou au niveau de la jeunesse arabo-musulmane, pour que les choses évoluent dans un sens positif, pour que les gens commencent à poser un regard différent sur le sujet, commencent à s’y intéresser  d’une manière plus objective, commencent à poser les bonnes questions, commencent à nuancer ?

Faut-il créer des groupes de discussion entre les communautés, faut-il réagir sur le plan judiciaire ? Que faut-il faire ?

- V.T. : Je dirais d’abord que ce n’est pas uniquement par rapport à la jeunesse arabo-musulmane qu’il faut réagir. Je pense que c’est par rapport à la jeunesse dans son ensemble. Quant on voit ce qui se passe à l’ULB, on constate que ce sont très souvent aussi des étudiants belges qui participent à la diabolisation d’Isräel, à l’importation du conflit israélo-palestinien et qui tiennent dans leurs journaux des propos antisémites.

Je pense qu’il faut effectivement entreprendre différentes choses. D’abord, il faudrait peut-être systématiquement écrire aux médias pour leur communiquer un regard différent sur les événements. Je ne sais pas, en fait, c’est très difficile ; j’aurais envie de vous dire que si l’on investissait plus dans l’éducation, sans doute cela irait mieux ; mais en réalité, pour avoir des résultats rapides et concrets il faut en faire une priorité et remettre les choses à plat. Pour les enseignants et pour les élèves.

J’ai envie de dire que si les politiques se ressaisissent, cela ira sans doute mieux. Je pense que le problème est très profond. On a vraiment eu de bonnes années, après la guerre ; mais depuis le début des années quatre-vingt, il y a un tournant visible. Depuis la guerre du Liban, les choses ont, petit à petit, commencé à se dégrader. Les amalgames, les glissements sémantiques, les attaques perverses, tout cela a commencé petit à petit et l’on a laissé faire. Or, il est clair qu’il faut une tolérance zéro, des sanctions. Il faudrait peut-être commencer par dire que des organismes comme le MRAX, doivent faire sérieusement leur travail : soit ils rentrent dans le cadre de leur mission, soit on arrête et on crée d’autres outils. Mais ce sont vraiment des organismes où on doit réagir tout de suite et énergiquement. Et je l’ai dit : ce n’est pas parce que l’on n’a pas toujours les instruments légaux pour poursuivre en justice et se porter partie civile que, pour autant, le discours ne doit pas être clair et fort et juste. Or il n’est pas là, on n’entend rien, le silence est assourdissant ! Il me semble qu’il faut commencer par là : il faut que les messages soient systématiques, soient sans ambiguïté ; qu’on les entende haut et fort, et que ces instituts travaillent dans le cadre de leur mission. Ensuite, au niveau de l’éducation, je suis convaincue qu’il faut remettre à l’ordre du jour les cours d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale avec, en particulier, un cours consacré à la Shoah donné par des enseignants formés, sans transiger là-dessus. Et ceux qui se font alors insulter par leurs élèves, il faut les aider, à tous les niveaux. En créant, entre autres, une cellule de spécialistes auxquels ils pourraient faire appel au moindre besoin.

La formation et l’éducation sont des outils qui agissent en profondeur, là où se trouvent les problèmes, les carences; car ce que l’on peut constater, c’est vraiment que l’ignorance est entretenue. Il s’agit, de plus, d’un sujet qui n’est jamais remis dans son contexte. A un moment donné, il faut aussi qu’on leur explique pourquoi ce problème, qui ne date pas d’aujourd’hui, est importé et ce qu’il contient. On n’a pas l’air de comprendre qu’il y a un problème depuis 1948, et même bien avant cela ! On ne souhaite pas saisir tout l’historique des problèmes d’Israël au sein du Proche-Orient. Bien sûr, on peut critiquer la politique du gouvernement d’Israël, mais peut-être qu’il faudrait alors critiquer aussi, et à juste titre me semble-t-il, d’autres politiques, arrêter d’avoir toujours ce double standard par rapport à Israël qui est finalement le pays le plus critiqué, le plus condamné par l’ONU. Vraiment à se poser des questions…

A un moment donné, il faudrait quand même faire place à plus d’objectivité !

- M.L. : Une dernière question, par rapport à cette fameuse étude qui avait  été menée par un chercheur d’une université flamande, un chercheur qui n’avait rien à voir ni avec la communauté musulmane, ni avec la communauté juive, et qui a constaté d’une manière totalement neutre, en n’utilisant donc que des critères statistiques et purement scientifiques, qu’une majorité, plus de 50% donc, de la jeunesse arabo-musulmane de notre pays était antisémite. Cette conclusion ne doit-elle pas constituer un énorme objet d’inquiétude ? Aujourd’hui, une certaine jeunesse, demain, peut-être, une majorité des adultes de ce pays…

Pensez-vous qu’il y ait encore quelque remède possible pour éviter le désastre ? Est-ce que, par exemple, l’organisation de groupes de discussions réunissant des représentants des différents cultes reconnus de notre pays, ainsi que de la laïcité,  pourrait constituer une piste vers une solution ? Finalement, aujourd’hui, même les chrétiens, surtout ceux qui vivent au Moyen-Orient, sont devenus, une communauté persécutée. Et un grand nombre d’entre eux quittent des lieux où ils sont présents depuis des centaines et des centaines d’années, parfois même avant les musulmans. Alors à propos de tout cela, que faire ?

- V.T. : Je pense qu’effectivement, là aussi, on entretient l’ignorance : ce n’est pas dénoncé, on le voit très peu à la télévision. Il y a toujours cette espèce de complaisance, et les messages qui arrivent à ces jeunes sont des messages qui sont déjà filtrés. Ils sont filtrés par les chaînes qu’ils  reçoivent via satellites comme Al Manar, Al Jazeera, etc… Je pense d’ailleurs qu’ici, on ne peut plus capter Al Manar, qui a été interdit, mais bien Al Jazeera. Mais le message est aussi biaisé par l’intermédiaire des chaînes belges et européennes. Toute l’information est systématiquement filtrée ; l’on ne prendra donc connaissance que d’une partie des événements. Je pense vraiment qu’une grande partie du problème vient de là, de l’information amputée qui parvient à ces jeunes, ainsi que de l’origine de leurs informations. Aujourd’hui, les jeunes lisent très peu ; ils n’ont donc que les images qu’ils reçoivent, dont ils sont abreuvés, et de ce qu’ils apprennent - ou n’apprennent pas - à l’école.  Alors pour les communautés arabo-musulmanes croyantes, cela se passe aussi en grande partie à la mosquée. Comme naguère encore, pour les catholiques, c’était à l’église. En ce qui concerne la synagogue, je pense que cela a toujours été moins politisé, du moins en Europe. Evidemment, en Israël et plus particulièrement à Jérusalem, le problème est posé différemment.

Pour répondre à votre question, oui, je pense effectivement que des échanges sont importants. Quand on rencontre l’autre, il a un visage différent, très souvent plus positif ; il fait déjà moins peur. J’y crois moi aussi. Quand on a lancé le projet Aladin au Parlement bruxellois, il y a une femme qui est venue avec sa fille. Elle et sa fille étaient voilées d’ailleurs. Et cette femme a dit que sa fille avait rencontré un garçon juif et qu’elles se sont rendues compte que, finalement, c’était un garçon comme un autre. Je pense que, malheureusement, c’était très révélateur d’une situation où, à travers tout ce qui se dit partout, le juif est diabolisé, parce qu’il est assimilé à Israël. Un Israël souvent déformé d’ailleurs. Agresser un juif devient ainsi quelque chose de « normal ». Encore une fois, je pense que l’agression de la petite Océane contient tous ces éléments-là. Les jeunes gamines qui ont agressé Océane connaissaient Océane, mais en avaient une perception qui n’avait rien à voir avec ce qu’est Océane réellement. Leur vision était complètement déformée, en rapport direct avec les clichés antisémites « classiques » comme celui  des juifs par rapport à l’argent par exemple, alors qu’Océane est issue d’un milieu modeste, ou encore par rapport à Israël, alors qu’elle n’y a même jamais été en vacances !

Cependant, il ne suffit pas toujours de simplement se rencontrer; je pense que les rencontres doivent être encadrées, animées par des professionnels. Et c’est très important d’avoir des gens qui sont formés à cela. Sinon, on court le risque  de rencontres inutiles, qui peuvent même, parfois, malheureusement, faire des dégâts. Pour en revenir à la communauté arabo-musulmane, je suis convaincue que là aussi, il y a une très mauvaise connaissance et perception de la réalité : on nous la présente très souvent comme agressive, alors que beaucoup de ses membres ne le sont pas, et la grande majorité aspire tout simplement à vivre paisiblement en Belgique. Ce sont vraiment toujours des minorités bruyantes et agissantes qui instrumentalisent les choses. Essayer d’atteindre ces jeunes-là, n’est évidemment pas une chose facile : ce sont parfois les mêmes qui se retrouvent dans les zones de non-droit à Molenbeek, ou dans les parkings, à vendre de la came, et qui font peur aux habitants des logements sociaux. On en retrouve un certain nombre dans les rues d’Anderlecht à agresser de vieilles personnes. Je pense que, malheureusement, cela dépasse le cadre spécifique judéo-musulman. On a un problème très sérieux face à cette jeunesse qu’on n’arrive pas à maîtriser, parce que pendant longtemps, on a laissé filer les choses et qu’on n’a pas mis de balises claires. Cela, le monde politique doit l’assumer aussi. Et il porte une lourde responsabilité d’avoir laissé aller tout cela. Maintenant on peut battre sa coulpe, mais ce n’est pas qu’à Bruxelles que le problème se pose, c’est à travers toute l’Europe.

Nous avons donc deux problèmes qui se superposent. Celui de l’intégration de certaines communautés immigrées, dont la jeunesse semble désoeuvrée, qui est la cible de discriminations, alors qu’elle doit pouvoir se projeter dans un avenir en Europe, si on veut tenter de résoudre les problèmes. C’est aussi cette jeunesse qui est pour partie instrumentalisée par des islamistes, par des gens mal intentionnés car ils n’ont donc pas trouvé la manière de s’intégrer harmonieusement dans les pays occidentaux d’accueil. Et à cela se superpose le problème du Moyen-Orient, qui est importé chez nous, mais aussi dans toute l’Europe. Ces deux problèmes superposés créent évidemment des situations très difficiles et qui ne permettent pas un grand optimisme. A-t-on encore le temps et la possibilité de réparer cela? Personnellement, je le crois, sinon je ne ferais pas ce que je fais. Mais je pense qu’il est vraiment moins une et si on n’agit pas de manière déterminée et ferme, hic et nunc, alors autant abandonner ! Mais moi, je n’ai pas envie d’abandonner. Quand j’entends les gens qui me disent : « Je n’ai pas posé mes valises au bon endroit , ou peut-être sont-ce mes parents qui n’ont pas posé leurs valises au bon endroit », je trouve cela terrible. Quand des jeunes disent : « Je pense que j’ai pas d’avenir en Belgique », je trouve cela terrible. Qu’ils décident de partir n’importe où dans le monde, parce qu’ils ont envie d’aller ailleurs, de se développer ailleurs, je peux l’accepter très facilement. « Le monde est un village », comme on dit, et ce n’est pas plus mal. Mais qu’ils partent parce qu’ils pensent qu’ils ne pourront pas être heureux ici, septante ans après la Shoah, non, cela, je ne peux pas l’accepter, ça fait vraiment trop mal. C’est cela qui me fâche, je le répète,  parce que je pense vraiment que les politiques et les médias portent une très lourde responsabilité à ce propos. Je pense qu’ils doivent réfléchir à leur manière d’aborder la société et à la manière de s’exprimer. Car tout ce qu’ils disent est reçu de plein fouet et interprété, souvent mal interprété et alors, trop souvent, bonjour les dégâts !!

- M.L. : Les politiques ne pensent-ils pas d’abord à eux-mêmes ? Comme il y a un électorat proportionnellement important qui est d’origine arabo-musulmane, ne se disent-ils pas qu’ils ont tout intérêt à se montrer bienveillants à l’égard de cette minorité-là, plutôt qu’à l’égard de celle de la communauté juive, qui présente actuellement une démographie beaucoup plus modeste ?

- V.T. : C’est bien pour cela que je dis qu’il ne faut pas parler en termes de communautés, mais en termes de valeurs, parce que le problème ne peut pas être celui d’une communauté, mais doit être celui de la démocratie. L’histoire a maintes fois montré que lorsque l’antisémitisme monte, le niveau démocratique baisse, et inversement. C’est cela qu’il faut faire comprendre aux politiques qui se soucient plus de leur réélection que de promouvoir une plus grande objectivité. Car c’est vrai qu’il y a un clientélisme électoral et, de plus, il n’y a pas que les politiques eux-mêmes, il y a tous les partis. Et c’est généralement en leur sein que les décisions sont prises. Un président de parti peut décider de donner le « la » plutôt par rapport à la défense des valeurs que par rapport à une communauté.

Didier Reynders, par exemple, est quelqu’un qui a toujours défendu des valeurs en premier lieu, et donc aussi par rapport à Israël, ce qui n’implique pas pour autant qu’il a toujours défendu la politique du gouvernement de l’Etat d’Israël, bien au contraire. Mais quand on défend  des valeurs, alors on défend, entre autres, la lutte contre le négationnisme, pour tous les peuples qui ont souffert d’un génocide. Quand on défend des valeurs, on défend la lutte contre tous les racismes et l’antisémitisme et on s’exprime de la même manière par rapport à tous les délits, où qu’ils soient commis. Et quand on défend des valeurs, on défend aussi le droit à l’existence de l’Etat d’Israël, même si on n’est pas toujours d’accord avec sa politique du moment. Mais on dit qu’il doit y avoir deux Etats, l’Etat d’Israël et l’Etat de Palestine, qui doivent pouvoir vivre côte à côte, et on défend tout ce qui peut mener à la paix et pas tout ce qui va faire plaisir à quelqu’un pour qu’il vote pour vous, quelqu’un qui s’identifie à l’une des parties d’un conflit qui existe à des milliers de kilomètres d’ici. C’est pour cela que je trouve que notre débat doit vraiment être ramené en termes de valeurs et c’est là que les démocrates peuvent se retrouver.  Et c’est là aussi que moi, j’ai vécu des moments très difficiles, notamment au Parlement bruxellois, parce que j’y ai trouvé des collègues à moi qui n’ont pas défendu les valeurs comme ils le devaient, et qui ont importé ici ce conflit du Moyen-Orient pour faire plaisir à une communauté, surtout six mois avant des élections.

On instrumentalise l’actualité, suite à quoi cela dégénère et puis on s’étonne. Là, je dis : non !

- M.L. : Finalement, notre problème est celui de l’éthique en politique…

- V.T. : Absolument.

- M.L. : Voilà Madame Teitelbaum, mille mercis pour votre analyse et surtout pour votre courage. Et je vous souhaite de tout cœur beaucoup de succès dans votre lutte pour le maintien des valeurs.

- V.T. : Merci à vous.