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Home / Ancienne Nouvelles / Nouvelles / Inauguration officielle du Musée Kazerne Dossin le 26 novembre 2012 - Allocution d’Eric Stroobants, Président de l’asbl Kazerne Dossin (Traduction française)

Sire, Madame,

Monsieur le Ministre-président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs, en vos titres, grades et qualités,

Mesdames et Messieurs les représentants des communautés juive et tsigane,

Chers invités,

Sur ce site chargé d’histoire de la Kazerne Dossin, en ce lieu de mémoire, une nouvelle page s’écrit aujourd’hui. Aujourd’hui s’achève en effet l’intense travail préparatoire fourni au cours de la décennie écoulée en vue de concrétiser le rêve ultime de notre président honoraire, le Chevalier Natan Ramet, qui nous a hélas quittés cette année. Celui-ci était la force tranquille mais ô combien stimulante et inspiratrice du projet Kazerne Dossin à l’origine de cette mission du gouvernement flamand : le développement d’un site historique qui constitue également un point d’ancrage pour notre mémoire collective et qui se base sur trois piliers :

1. un Mémorial, espace à la fois de commémoration et de recueillement pour les nombreux proches des victimes des déportations depuis la Kazerne Dossin. Un mémorial empreint de piété, qui comble aussi l’absence de sépulture, dans lequel la famille et les amis puissent se réunir pour honorer la mémoire de leurs proches, méditer ou, simplement, s’arrêter un instant.

2. un Musée de stature internationale, fruit d’une mûre réflexion aux points de vue historique et pédagogique, qui offre aux visiteurs la possibilité de découvrir un pan refoulé de l’histoire et d’en apprendre davantage sur l’un des épisodes les plus sombres et traumatisants qu’aient connus notre pays et l’Europe, à savoir la persécution et, dans le cadre de la « Solution finale », la déportation vers les camps d’extermination de milliers de Juifs et Tsiganes durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que sur d’autres violations systématiques des droits de l’homme en Belgique et en Europe sous l’occupation nazie.

3. un Centre de documentation accessible qui dévoile la collection de témoignages et les archives impressionnantes de l’ancien « Musée juif de la Déportation et de la Résistance » sur l’Holocauste en Belgique et, simultanément, sensibilise le public aux autres formes de génocide, d’épuration ethnique, d’exclusion, d’intolérance et de racisme qui sont, hélas, toujours d’actualité.

L’inauguration de ce nouveau musée marque le début d’un avenir porteur d’espoirs et d’une mission de longue haleine : celle de contribuer à une société plus humaine et plus démocratique.

Qui souhaite comprendre le présent et imaginer l’avenir doit connaître son passé.

Sire, Madame,

Votre présence à l’occasion de cet événement réjouissant témoigne d’une grande considération pour le projet Kazerne Dossin et sa mission historique. Elle constitue par ailleurs un encouragement particulièrement apprécié à la réaffirmation et à la transmission aux générations futures d’un message de tolérance, d’humanité, de non-discrimination et de respect.

Chers invités,

Le gouvernement flamand nous a apporté son soutien financier dès la fondation du Musée juif de la Déportation et de la Résistance, a initié la création de ce nouveau musée, en a fait l’un des objectifs de son programme de gouvernement et a financé le grand projet d’investissement dont elle s’est accompagnée.

Monsieur le Ministre-président,

Pour tout votre soutien, vos contributions tant morales que matérielles et votre collaboration efficace, nous vous exprimons notre plus profonde gratitude. À votre initiative, l’Autorité flamande, la Province d’Anvers, la ville de Malines et l’asbl Musée juif de la Déportation et de la Résistance ont uni leurs efforts et fondé l’asbl Kazerne Dossin - Mémorial, Musée et Centre de documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’homme.

Ce sous-titre résume parfaitement la mission confiée à l’asbl. Kazerne Dossin devait être un élargissement, tant physique que sur le plan du contenu, de l’ancien Musée juif. Cet élargissement physique est concrétisé par le bâtiment muséal flambant neuf que nous avons aujourd’hui le plaisir d’inaugurer comme un authentique monument commémoratif. Quant au bâtiment de l’ancien musée, il abrite désormais un remarquable Mémorial.

Au nom de Kazerne Dossin, je souhaite adresser mes sincères remerciements et félicitations à l’architecte bOb Van Reeth et à son équipe pour l’intégration architecturale sans faille de l’ancien et du nouveau, qu’ils ont, sur ce site, réalisée avec la plus grande harmonie.

J’aimerais à présent commenter brièvement la mission d’élargissement et d’approfondissement du contenu qui a été confiée à Kazerne Dossin.

Il va de soi que la nouvelle exposition permanente intègre la mise à jour du contenu de la recherche historique qui, après la création du Musée juif en 1995, s’est poursuivie de manière systématique. Pour ce qui est de la délimitation du cadre historique, notre commissaire, le Professeur Herman Van Goethem, a fait appel à un comité consultatif international composé des experts étrangers les plus éminents et à un comité d’exposition représentant la communauté scientifique belge.

Le musée prend pour point de départ la transformation de la Kazerne Dossin en camp de rassemblement et de transit - un SS-Sammellager, selon la terminologie nazie - à partir duquel pas moins de 25 484 Juifs et 352 Tsiganes ont été déportés vers Auschwitz-Birkenau entre 1942 et 1944.

N’oublions pas que cette abomination n’aurait été possible sans la collaboration massive, jusqu’en 1942, de l’administration belge avec l’occupant et ce, dans tout le pays, d’Arlon à Ostende. Aujourd’hui, notre connaissance factuelle de cet épisode surréaliste a été considérablement élargie et complétée des nuances nécessaires.

Ce musée s’efforce de répondre à la question de savoir comment ces événements ont pu avoir lieu et comment la société belge a pu, en aussi peu de temps, se pervertir à ce point. Nous tentons de fournir une analyse des auteurs, des victimes et des observateurs. Qu’ont-ils fait ? Que pouvaient-ils faire ? Quelle était la marge de manoeuvre pour toute velléité de résistance ? Ce musée accorde ainsi une place centrale à la question de la résistance, de la possibilité de dire « non » à une société dévoyée.

Ce musée relate une histoire belge, qui concerne donc autant la Flandre que la Wallonie, Anvers que Bruxelles. C’est aussi une histoire d’homme et de cohabitation, dans une société qui, de toute évidence, a été capable de renier des valeurs démocratiques fondamentales, telles que le principe d’égalité entre les hommes ou, en d’autres termes, le principe de non-discrimination.

Ceci m’amène à un autre aspect essentiel de la mission statutaire de Kazerne Dossin, à savoir la question des droits de l’homme. Ce musée est le premier musée au monde dont le nom comporte les mots « Droits de l’homme ». Les statuts de 2008 contribuent à expliquer ce choix. Je cite : « Ce projet doit favoriser l’étude et la réflexion sur les mécanismes de l’exclusion, de l’intolérance et du racisme dans la société ».

Pour chacun, il était évident que l’élaboration du concept devait se baser sur la nature du site. L’approche des droits de l’homme choisie doit donc toujours conserver un lien avec les événements qui se sont déroulés ici. Certes, il fallait également accorder une place à l’actualisation des droits de l’homme, c’est-à-dire à la situation actuelle en la matière. Toutefois, comment choisir parmi les si nombreuses violations grossières des droits de l’homme que relate la presse chaque jour ou - pire - qu’elle ne relate pas ? Comment justifier le choix d’un de ces cas de dérive de la société par rapport à un autre ? Nous étions présents lorsque, après plusieurs mois de dialogue sur le concept, Natan Ramet a dit : « Ce n’est qu’aujourd’hui que je comprends réellement ce que j’ai vécu ».

Faciliter la compréhension des mécanismes qui ont conduit à de telles dérives constitue par ailleurs une mission pédagogique importante, que nous remplissons envers les générations actuelles et futures. Dans ce musée, les droits de l’homme seront abordés sous l’angle d’une analyse axée sur le comportement. D’une part, une place centrale est accordée au principe de non-discrimination, qui se situe à la base de l’élaboration juridique du concept des droits de l’homme, tel qu’il a été concrétisé dans la Convention européenne des droits de l’homme, notamment.

D’autre part, le musée met l’accent sur les mécanismes de la violence de masse extrême, lorsqu’elle conduit à l’assassinat systématisé non seulement d’hommes mais aussi de femmes, de vieillards et d’enfants.

Un génocide, il est vrai, ne survient pas par hasard, du jour au lendemain. Il est souvent précédé d’une longue chaîne de violence dont l’intensité va croissante. Et dans de nombreux cas, les premiers maillons de cette chaîne sont la discrimination et l’exclusion.

Dès lors, dans le cadre du fonctionnement du musée, un certain nombre de modules éducatifs ont été conçus avec l’équipe pédagogique, notamment sur la discrimination et l’exclusion, la pression du groupe et la violence de masse, le respect et la diversité. Dans le prolongement de ce contenu pédagogique, Kazerne Dossin entend approfondir encore davantage sa mission statutaire par le développement évolutif du Centre de documentation pour évoluer vers un « centre d’expertise » interactif sur l’Holocauste et les Droits de l’homme. Pour ce faire, nous miserons sur quelques publications scientifiquement pertinentes et l’organisation d’événements riches en contenu et à résonnance internationale. Ces événements incluront tant des conférences, des débats, des symposiums et des colloques que des expositions artistiques ou historiques temporaires.

Avec son musée et ses projets pédagogiques et scientifiques, la Kazerne Dossin ambitionne ainsi de devenir une référence dans le paysage muséal international pour le domaine de l’Holocauste et des Droits de l’homme.

Bien sûr, ce musée suscitera le débat, voire des objections ou des critiques. Rien n’est plus difficile que de concevoir un musée sur l’Holocauste. Et rien n’est plus délicat que d’y introduire l’aspect des Droits de l’homme. « Il ne peut y avoir de vérité sans liberté », constatait déjà le philosophe romain Sénèque. À partir d’aujourd’hui, nous écouterons attentivement les nombreuses réactions et, lorsque l’attention médiatique à notre égard sera retombée, nous engagerons également un dialogue. Kazerne Dossin n’est en effet pas un projet terminé.

Sire, Madame,

Monsieur le Ministre-président,

Mesdames, Messieurs,

Dans son chef-d’oeuvre littéraire « Voyage d’un Européen à travers le XXe siècle (In Europa. Reizen door de twintigste eeuw) », Geert Mak décrit de manière enthousiaste et quasi-visuelle ses pérégrinations européennes à travers un « stupéfiant » vingtième siècle. Dans son périple, il suit les traces indélébiles de l’histoire à travers le continent européen. Son récit de voyage nous parle du passé et de l’effet que le passé exerce sur nous. Il nous parle de déchirement et d’ignorance, d’histoire et de peur, de pauvreté et d’espoir, de tout ce que la nouvelle Europe peut offrir et des liens qu’elle crée. Il nous parle de l’homme et de son éternelle quête d’une existence digne. Les noms de lieu - d’Amsterdam à Sarajevo - qui ont dessiné et redessiné l’Europe défilent dans cette oeuvre magistrale.

Aussi espérons-nous que, dans une prochaine édition de sa quête européenne, Geert Mak fera halte sur ce site de la Kazerne Dossin, une possible étape où le passé inspire le futur. Un lieu de commémoration et de réflexion sur les valeurs fondamentales de la civilisation européenne.

En tant que « lieu de souvenir » unique, la Kazerne Dossin - Mémorial, Musée et Centre de documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’homme ambitionne de devenir une référence historique européenne et d’oeuvrer à une société plus humaine, centrée sur la tolérance, la non-discrimination et le respect.