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Home / Première Page / Abattage selon le rite : séance du 20/avril 2017 de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des transports du parlement wallon

Audition de M. Markiewicz, Président du Consistoire central israélite de Belgique

Mme la Présidente. - La parole est à M. Markiewicz.

M. Markiewicz, Président du Consistoire central israélite de Belgique. - Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs, en vos titres, grades et qualités, avant tout, je tiens à remercier la commission d’avoir accepté de nous entendre et, surtout, d’avoir accepté de postposer notre audition en raison de la fête de la Pâques juive.

Mesdames et Messieurs, nous avons la chance de vivre ensemble dans une démocratie éclairée, qui doit le rester. N’oublions jamais cela.

La pratique religieuse d’un culte reconnu est garantie constitutionnellement, mais également par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article 9 dit : « Toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

L’abattage selon le rite est un élément essentiel pour la religion juive. Ce n’est pas un sacrifice, ce n’est pas un acte barbare. Les abatteurs, à savoir moins de 10 pour tout le pays, ne sont pas des bourreaux. Ce sont des hommes instruits pendant des années, notamment au niveau de la compétence technique afin d’éviter la souffrance animale.

Les personnes pratiquantes de la communauté juive doivent pouvoir manger casher tous les jours, c’est un droit. Il est de mon devoir de le défendre, en ma qualité d’homme probe et libre.

Le bien-être animal est une préoccupation juive plurimillénaire. Nous n’avons pas attendu GAIA pour nous en préoccuper. Exemple parmi d’autres : nous ne pouvons pas nous mettre à table sans avoir donné, au préalable, à manger à nos animaux domestiques ; les veaux, les vaches des juifs éleveurs doivent être nourries avant leur maître. Il y a bien d’autres exemples qui existent.

Depuis la guerre, depuis 1945, la communauté juive a toujours trouvé des solutions équilibrées avec les pouvoirs publics, quels que soient les domaines : spoliation, sécurité, éducation, cimetières. Pour la première fois - je dis bien pour la première fois - aujourd’hui, on semble se diriger vers un échec. C’est perçu négativement par la communauté juive et mauvais pour le pays tout entier. Ce n’est pas le moment.

L’histoire et la mémoire sont essentielles. Rappelons que la dernière fois où l’on a voulu porter atteinte, en Belgique, à l’abattage selon le rite, en ce qui concerne les juifs, c’était en octobre 1940, par l’occupant nazi.

(Réactions dans l’assemblée)

Les nazis, responsables de la mort de millions d’hommes, femmes et enfants, se préoccupaient de l’abattage rituel, parce qu’ils savaient combien c’était important pour les juifs. Même si nous vivons dans une démocratie éclairée, si nous avons cette chance, comme déjà rappelé en préambule, je vous invite à ne pas poser le même acte et à trouver des solutions qui garantissent mieux le bien-être animal tout en préservant la liberté du culte. Il faut garantir mieux le bien-être animal, c’est une évidence pour tous et toutes.

Contrairement à ce que prétendait, avant-hier, dans La Libre, Mme la Députée Defraigne, également présidente du Sénat, le consistoire a fait un grand pas, une concession importante. Je m’explique.

Les abatteurs selon le rite sont désignés, jusqu’à présent, exclusivement et uniquement, par le consistoire. Le consistoire propose qu’à l’avenir, un organe régional public neutre confirme les compétences, en particulier techniques, des candidats abatteurs, avant de leur permettre d’exercer. Si le candidat est refusé, le consistoire devra proposer une autre personne. Cet examen de compétence devra être objectif.

Venons-en au nœud du problème. L’étourdissement ne respecte pas les prescrits religieux juifs. Ce n’est pas aux femmes politiques ou aux hommes politiques à dicter quelle est la règle religieuse. Par ailleurs, je dirais que les effets bénéfiques de l’étourdissement sont controversés. J’évoque ici notamment le rapport du professeur Jean-Michel Guerit, Professeur à l’Université de Louvain et je lis ses conclusions : « Une interruption du flux sanguin au sein des artères carotides interrompt l’activité des circuits cérébraux indispensables à la perception de la douleur endéans les 30 secondes au maximum ». Nous n’avons aucun élément permettant d’affirmer qu’un étourdissement interrompt l’activité de la matrice de la douleur. Bien au contraire, il existe des arguments suggérant qu’un étourdissement peut rester associé à une perception douloureuse et que même s’il est associé à une amnésie, il n’empêche pas la constitution de traces mnésiques pénibles, responsables d’un syndrome de stress post-traumatique.

On peut en conclure que les bénéfices escomptés d’un étourdissement préalable à l’abattage rituel en termes de souffrance sont virtuellement nuls et que celui-ci comporte davantage de risques d’accroître la souffrance.

D’autres scientifiques de renom déclarent que l’abattage selon le rite religieux juif, c’est-à-dire la shehita, s’il est pratiqué correctement, est aussi bon et, parfois, meilleur que les abattages où il y a étourdissement. Nous avons, à ce propos, les déclarations du docteur Bernard Vallat, Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé animale, OIE, nous avons également une note en ce sens du docteur vétérinaire Dantzer, membre du Comité scientifique vétérinaire de la CEE, Directeur du laboratoire de neurobiologie INRA. Ensuite, il y a d’autres personnes, telles que le professeur Temple Grandin qui est une sommité mondiale.

Croire que le pistolet étourdissant est la panacée est une erreur également. Il peut même devenir la source d’un supplice dans bien des cas. Son taux d’erreur serait relativement élevé. Relevons à ce propos la supercherie concernant l’étourdissement des bovins. GAIA fait croire qu’il s’agit d’une sorte d’anesthésie avec laquelle tous les bovins s’endorment dans un sommeil « délicieux ». Il s’agit, en réalité, d’un coup de pistolet tiré en plein cerveau entre les yeux. Les statistiques indiquent que 6 % à 16 % de ces étourdissements au pistolet à tige perforatrice sont un échec, avec pour conséquence une mort atroce de l’animal. Sur 650 000 étourdissements bovins avec pistolet, de 38 000 à 103 000 bêtes meurent de manière atroce. Réfléchissez à cela.

Je tiens également à signaler à l’honorable assemblée que l’abattage à la chaîne ne concerne en rien la communauté juive. Nous sommes les seuls à abattre les animaux avec une attention individuelle toute particulière. La communauté juive souhaite fermement un plus grand contrôle des abattoirs à travers tout le pays.

Vous avez, à ce niveau, notre plein et entier soutien. Tielt est un véritable scandale qui concernait des cochons, donc en rien une viande normalement destinée aux Juifs. Il faut également un plus grand contrôle du bien-être animal lorsqu’il s’agit de leur transport. Ne l’oublions pas. N’oublions pas non plus les abus de la chasse, la manière de tuer sans étourdissement et l’intervention des chiens par la suite. N’oublions pas la pêche, avec l’asphyxie lente des poissons, entraînant leur mort. Citons également la cuisson du homard vivant dans l’eau bouillante. Vous voyez, les exemples ne manquent pas.

Nous, juifs, nous n’avons pas d’abattage clandestin. Nous sommes pour la transparence, pour le contrôle, mais laissez, à ceux qui veulent manger une viande casher, ce droit. Nous sommes concernés par moins de 1 000 bêtes par an sur plus de 600 000 bovins. Chaque bête que nous sommes amenés à traiter l’est méticuleusement. N’oubliez pas que, justement, la formation de l’abatteur selon le rite juif a, avant tout, pour obligation d’éviter la souffrance de l’animal.

Ma communauté ne pose pas d’acte barbare. Je fais ici référence à l’intervention de M. le Député Arens, lors de votre séance de ce 20 mars. Nous ne sommes pas non plus des bourreaux : je fais ici référence à un débat télévisé avec Mme Ann de Greef, Directrice de GAIA, qui a été retransmis le 9 avril 2017 sur la RTBF.

Les juifs de Belgique ne sont pas non plus pour une théocratie, comme Mme de Greef semblait le dire lors du même débat. Pour nous, la religion relève strictement de la vie privée.

Il ne faudrait pas que le présent débat aboutisse à une polarisation religieuse et qu’une communauté soit mise à l’index. C’est un risque évoqué par Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, dans un avis rendu en octobre 2016, après un signalement déposé par GAIA, pour qui l’abattage rituel en Belgique constituait un caractère discriminant.

Nous, les juifs de Belgique, sommes des citoyens respectables. J’espère que vous aurez la sagesse de trouver une solution équilibrée qui tiendra compte de la proposition formulée par le consistoire. Je souhaite que ma communauté continue à être heureuse. Je vous demanderai cependant que le projet de décret que vous voterez éventuellement soit également soumis pour avis à l’autorité du Conseil d’État. Ne votez pas dans la précipitation.

Hier, je recevais encore copie d’un nouveau projet de décret du cabinet de M. le Ministre Di Antonio. Il faut du calme, beaucoup de calme et de sérénité. C’est absolument nécessaire. Maintenez le dialogue, en tout cas pour un temps, avec toutes les parties concernées, et ce, sans exception. Ce n’est pas une course, j’ai dit.